Page:Laboulaye - Locke, législateur de la Caroline.djvu/24

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des gens peut-être n’en comprendront pas toute la généralité. Du mauvais succès du grand modèle, de l’erreur de Locke, on ne conclura pas à l’impuissance radicale de toutes les législations à priori. Considérons de plus près la tentative du philosophe anglais, et probablement, en estimant davantage l’homme et son œuvre, nous comprendrons mieux pourquoi tous deux devaient fatalement échouer, comme échoueront tous les essais semblables.

Pourquoi la Constitution de Locke n’a-t-elle pas réussi, et pourquoi devait-elle nécessairement ne pas réussir ?

Est-ce que l’homme qui l’a rédigée était inhabile ? Non sans doute ; c’était un philosophe des plus judicieux, et qui ne donnait rien à l’imagination ; c’était un esprit réfléchi, qui dans un temps de révolution, quand les bases mêmes de la société étaient mises à nu, avait profondément médité sur la nature et les conditions du gouvernement ; c’était enfin un écrivain politique dont les doctrines, sanctionnées par la révolution de 1688, furent adoptées avec la plus grande faveur par l’Amérique du Nord tout entière, quand elle se sépara de la métropole ; et ces doctrines, remaniées par Rousseau, sont au fond de toutes les Constitutions politiques que nos assemblées ont élaborées depuis soixante ans. En politique, comme en philosophie, il n’est pas un homme qui ait exercé sur le dix-huitième siècle une influence comparable à celle de Locke.

Si cet homme n’était point inhabile, si c’était au contraire un génie remarquable, ne faut-il pas au moins admettre qu’en ce point il s’est trompé ? Comment ? Est-ce en rédigeant une constitution impossible ? Mais cette Constitution n’était rien moins que chimérique, car ce n’est pas autre chose que celle même de l’Angleterre ; un homme aussi positif que Shaftesbury, un esprit aussi sûr que Locke ne s’a-