Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/12

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traitent comme un système conçu à froid ; ils en critiquent habilement les postulats fondamentaux, mais ils en laissent inentamée la partie vraiment vitale, — ces certitudes mystiques, imperméables aux objections philosophiques pour le croyant, qui ne voit en celles-ci que jeux d’esprit stériles et controverses ployables à tous sens. La réaction d’Origène en face du pamphlet de Celse est significative à ce point de vue. Certains arguments le gênent ; presque toujours il puise au plus vif de lui-même, dans les réalités profondes de sa vie spirituelle, les réponses qu’il y oppose.

Enfin, ce qui les paralysa à demi dans ces luttes contre une foi totale et conquérante, ce fut leur scepticisme religieux, qu’ils ne se reconnaissaient pas le droit d’avouer, et qui ne laissait intact chez eux qu’un fond vaguement superstitieux. De là ces étranges discordances dont le philosophe Berkeley s’est si spirituellement égayé dans son Alciphron[1]. Volontiers eussent-ils fait bon marché des légendes, des traditions mythologiques dont leurs adversaires chrétiens clamaient le scandale. Mais ces histoires suspectes, ces contes absurdes, servaient d’armature aux liturgies qui se déroulaient tout le long de l’année et constituaient le Culte public. Leur refuser publiquement sa créance n’allait à rien de moins qu’à ébranler une pièce essentielle de l’État. Un Romain conscient ne permettait pas que son sentiment intime fît échec à son loyalisme, ni qu’il usurpât sur son devoir civique : il en réservait l’expression confidentielle à un petit cercle d’esprits avertis. En dépit de la religiosité dont il prend quelquefois le ton, Celse, par exemple, est un de ces

  1. Alciphron ou le Petit Philosophe, La Haye, 1731, t. II, p. 95 et s.