Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/32

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1 Je me suis fait une habitude, Seigneur, d’en référer à vous sur toutes les affaires où j’ai des doutes. Qui, en effet, peut mieux que vous me diriger dans mes hésitations ou instruire mon ignorance ?

Je n’ai jamais assisté à aucun procès contre les chrétiens. Aussi ne sais-je ce qu’on punit ordinairement chez eux et sur quoi porte l’enquête, ni jusqu’où il faut aller[1].

2 De là pour moi de sérieuses perplexités : faut-il tenir compte de l’âge ; ou bien, en pareille matière, n’y a-t-il pas de différence à faire entre la plus tendre jeunesse et un âge plus robuste ? Faut-il pardonner au repentir ; ou celui qui a été chrétien déclaré ne doit-il bénéficier en rien d’avoir cessé de l’être ? Est-ce le nom lui-même, abstraction faite de tout acte ignominieux, ou les ignominies inséparables du nom, que l’on punit[2] ?

Provisoirement, voici la ligne de conduite que j’ai adoptée à l’égard de ceux qui m’ont été déférés comme chrétiens. 3 Je leur ai directement posé la question : « Êtes-vous chrétiens ? » À ceux qui ont avoué qu’ils l’étaient, j’ai répété cette même question une seconde, une troisième fois, en les menaçant du supplice. Ceux qui ont persisté y ont été conduits par mon ordre. Un point, en effet, hors de doute pour moi, c’est que, quoi qu’on dût penser du fait ainsi avoué, cet entêtement, cette inflexible obstination méritaient d’être punis[3].

4 Il y en eut quelques autres, atteints de la même folie, que, vu leur titre de citoyens romains, j’ai notés pour être envoyés à Rome.

Puis, comme il arrive, avec les progrès de l’instruction l’accusation a fait tache d’huile, et plusieurs cas particuliers se sont présentés.

5 Un libelle anonyme m’a été remis, contenant beaucoup de noms. Ceux qui ont nié qu’ils fussent ou qu’ils eussent été chrétiens, ceux-là,

  1. Il ne doute pas que les chrétiens doivent être punis. Il se demande seulement quid et qualenus aut puniri soleat aut quaeri. — Quid, c’est-à-dire, si c’est le nom seul qu’on poursuit, ou bien les crimes que le nom implique ; quatenus, c’est-à-dire, s’il faut condamner en bloc, ou bien tenir compte de l’âge et du repentir. — Une centaine d’années plus tard, vers 222, le jurisconsulte Domitius Ulpien formera une sorte de vade-mecum à l’usage des magistrats, en groupant les divers rescrits impériaux relatifs aux chrétiens (Lactance, Inst. Div., V, 11 ; éd. Brandt, I, 436).
  2. Si c’est le nom seulement, la procédure est simplifiée : il suffit, pour encourir la peine, de se reconnaître chrétien devant le magistrat. Si ce sont les flagitia nomini cohaerentia que vise la loi, il incombe au magistrat d’en prouver la réalité, avant de sévir.
  3. Peu importe, en effet, que Pline ne voie pas avec une parfaite clarté ce que le législateur a voulu punir : ce qui est sûr, c’est que la qualité de chrétien est en soi condamnable. Y persévérer obstinément, c’est donc mériter la mort. Et cela d’autant plus, que cette résistance farouche aux sommations d’un juge appelle une sanction sévère.