Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que puis-je faire, moi, vieux et malade, si ce n’est de chanter Dieu ? Si j’étais rossignol, je ferais le métier d’un rossignol ; si j’étais cygne, celui d’un cygne. Je suis un être raisonnable : il me faut chanter Dieu[1].

Certes, à approfondir la pensée d’Épictète, on éprouve quelque difficulté à concilier certaines de ses vues. Ce dévot, qui s’adresse à Dieu avec un accent si émouvant, distingue à peine son Dieu de la nature elle-même, et il a bien l’air parfois de l’identifier avec le monde matériel[2]. Il ne croit pas à la survie de l’âme ; il n’a aucun souci des rémunérations d’outre-tombe, et il admet qu’après la mort les éléments instables dont nous sommes formés se dissocieront purement et simplement[3]. On a peine à repérer les sources profondes d’une si chaude piété. À moins que, comme l’a discrètement insinué le P. Lagrange, il n’ait subi, sans doute à son insu, la contagion du monothéisme chrétien et de la foi intense des premiers propagateurs de la foi nouvelle[4].

Épictète connaissait le christianisme, et avait dû avoir, soit à Rome, soit à Nicopolis[5], plus d’une occasion d’en entendre parler ou de l’observer lui-même. Un passage des Entretiens est significatif, à ce point de vue[6]. Épictète y

  1. Entr. I, 16, 15.
  2. Entr. I, 14, 10.
  3. Ibid. III, 13, 13 et s.
  4. Voir la Revue Biblique, 1912, p. 204 et s. Qu’Épictète ait lu de ses yeux les écrits du Nouveau Testament, la chose est très douteuse : cf. Bonhœffer, Epiktet und das neue Testament, Giessen, 1911 (Religionsgesch. Vers. and Vorarb., X).
  5. Un groupe chrétien est signalé à Nicopolis, — peut-être dès le ier siècle (Harnack, Mission…, 3e éd., p. 90 ; 241).
  6. Je laisse tomber le passage des Entr. II, ix, 20 : « Ce n’est que quand un homme prend l’esprit du baptisé et du sectaire qu’il est réellement juif et qu’on lui en donne le nom. » Il est possible qu’Épictète confonde juifs et chrétiens et vise réellement ceux-ci ; mais cela n’est pas sûr : car il y avait un baptême juif. Voy. Batiffol, L’Église naissante et le Catholicisme, p. 14 et s.