Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/49

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les yeux ? Le martyre, joyeusement accepté, n’était-il pas la preuve souveraine de cette liberté intérieure dont le philosophe avait constamment vanté le privilège et la sécurité ? Or, il semble que, cette sympathie postulée par la logique même de son système, il n’en ait finalement accordé aux « Galiléens[1] » qu’une bien faible dose. On s’étonne qu’un critique aussi averti que W. von Christ[2] ait pu soupçonner une admiration secrète sous le dédaigneux memento qu’il leur consacre. Renan remarque avec une justesse bien plus sûre qu’ « Épictète considère l’héroïsme des Galiléens comme l’effet d’un fanatisme endurci[3] ». Pour le philosophe, la bravoure dont les « Galiléens » font preuve — et qu’il ne conteste pas — procède d’une sorte d’instinct aveugle ou d’entraînement machinal. La raison, la volonté réfléchie, la claire intelligence des grandes lois de l’univers n’en sont point les motifs déterminants. Qu’est-ce que l’éthos sans le logos ? Épictète n’attache aucun prix à un sacrifice irrationnel, dicté par une foi obtuse, ou par la contagion de l’exemple.

On est tenté parfois de croire que le stoïcisme et le christianisme, préconisant l’un et l’autre le détachement des biens extérieurs, la culture de l’âme individuelle, la réhabilitation des vraies supériorités morales, s’apparentaient l’un à l’autre jusqu’à une sorte de fusion. Mais non ! cette illusion ne tarde pas à se dissiper. Leur armature doctrinale était trop différente, et aussi le « climat » où

  1. S’il emploie le mot « Galiléen », c’est sans doute qu’il emprunte aux Juifs cette désignation : voir Bonhœffer, Epiktet und das neue Testament, p. 42 et 72. Ce terme sera repris plus tard par l’empereur Julien dans une intention dénigrante. Voy. p. 393.
  2. Gesch. der griech. Literatur, 5e éd., t. II, 1, p. 275.
  3. Marc-Aurèle, p. 56.