Page:Lacasse - Une mine de souvenirs, 1920.djvu/57

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qui partait à une heure du matin pour le « marché » de Montréal, et qui « gratis » m’amènerait avec lui ; ce qui me permettrait d’épargner 45 sous. Ce soir-là, je ne dormis pas. À minuit je m’habillai de mon plus fin ; mais il manquait un sachet à mon trousseau. Or le sachet qu’on venait d’inventer pour remplacer le « porte-manteau » était à la mode parmi ceux qui voulaient se donner un air de distinction ; et la jeune fille qui allait chez le voisin emprunter une livre de beurre ou une demi-douzaine d’œufs, se servait d’un sachet, de crainte de passer pour une personne comme les autres, qui employaient une assiette, un bol ou une terrine. Mais les modes vivent ce que vivent les roses. Aujourd’hui on se distingue en ne portant plus de sachet. Je le dis à ma confusion : je fus un esclave de la mode ; je crus qu’au lieu d’un sachet qui me manquait, je pourrais me servir d’un « porte-manteau » en toile cirée qui était la propriété de mon père. Malencontreux porte-manteau ! Si j’avais su toutes les humiliations que tu me réservais, jamais tu ne m’aurais accompagné !

Je montai en voiture avec mon inséparable porte-manteau. Que j’étais content, ce matin-là ! J’allais voir un roi et ma tante Maria.

— Que vas-tu vendre à Montréal, Eucher ? demandai-je à mon compagnon.