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Page:Lacasse - Une mine de souvenirs, 1920.djvu/74

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la cruelle étiquette ; sinon vous passiez pour un malappris, un personnage grossier. J’aurais bien voulu suivre l’étiquette qui a son bon côté, assurément, mais je n’en connaissais pas le premier mot. Tout ce que je savais, c’était cette loi fondamentale sur laquelle repose tout le rite convivial : ne jamais porter son couteau à la bouche ; et si par hasard vous l’échappez de votre main, n’allez pas le chercher sous la table, mais demandez-en un autre et dépêchez-vous à manger pour avoir fini en même temps que les autres, pas avant ni après, C’est la fonction exclusive de l’étiquette de vous mesurer l’estomac. Il est plus convenable, paraît-il, de finir son repas rendu chez soi.

Après les soupes, on apporte donc sur la table le plus gros dindon du marché, dont le dépècement m’appartenait. Grand fut mon embarras. Je n’avais jamais mis un couteau sur une volaille. De plus, je suis gaucher et gauche, deux défauts dont je n’ai pu me corriger. Je pris le couteau, et ne sachant pas où commencer, il me vint à l’idée de le couper de travers, par tranches, comme papa faisait sur une pièce de lard. Je commençai par le cou, mais au lieu de le mettre dans mon assiette qu’une servante attendait, je demandai à Demoiselle L’Heureux de me présenter la sienne, que j’allais la servir copieusement.

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