Page:Lacaussade - Poésies, t1, 1896.djvu/209

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Rien n’y saurait germer ! ma précoce indigence
N’a plus ni feu ni sève à donner à vos fleurs.
J’ai froid au cœur, j’ai froid dans mon intelligence :
La vie a tout en moi tari, — même les pleurs !

Des adverses saisons j’ai connu l’inclémence :
Vais-je en accuser l’homme, et le sort, et les jours ?
Psalmodiant ma peine, irai-je, en ma démence,
Promener ma blessure aux coins des carrefours ?

J’ai vécu, j’ai voulu, j’ai tenté l’impossible ;
Dans mes erreurs, l’orgueil du bien est de moitié !
Ce cœur, rêvant du beau l’étoile inaccessible,
S’il eût voulu l’amour ne veut point la pitié !

Je prise haut mon mal ! ma douleur importune
Ne s’ira point répandre au cailloux du chemin.
Chaque homme est l’artisan de sa libre fortune :
Nous habitons le sort bâti de notre main.

Vous me fûtes trompeurs, rêves de mon bel âge.
Eh bien ! je vous souris à l’heure des adieux ;
Partez ! seul désormais, j’attendrai sur la plage
Du calme pour mon cœur, de l’ombre pour mes yeux.

La Muse et l’avenir, qu’importe ! et l’amour même !
J’ai désappris l’espoir, partez ! — Il est des jours
D’abattement sans nom d’accablement suprême,
Où l’on voudrait s’étendre et dormir pour toujours !