Page:Lacaussade - Poésies, t1, 1896.djvu/30

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Vaste et morne, un désir sans fond comme la mer
Ballottera tes jours dans un délire amer.
Vague, sombre, rongé d’une âpre inquiétude,
Pour y souffrir en paix cherchant la solitude,
Tu fuiras tes amis. Ton esprit studieux
Dans les livres, dans l’art aux plaisirs sérieux
Ne mettra plus sa joie ; et la Muse elle-même,
Celle qui nous est douce et mérite qu’on l’aime,
La Muse aura perdu sur ton cœur tout pouvoir.
Ta fierté, le présent, l’avenir, le devoir,
Tout sera délaissé. Sans flamme et sans génie,
Tu ne penseras plus. La fiévreuse insomnie
Envahira ta couche. Un songe sans réveil,
De ta paupière sèche écartant le sommeil,
Embrasera tes nuits : dans ton cerveau débile
Brûlera fixe et belle une image immobile !
Implorant l’aube, hélas ! pour rafraîchir tes maux,
Tu chercheras la paix et l’ombre des rameaux.
Devant le calme auguste et le bonheur des choses,
Tu sentiras tes yeux s’emplir de pleurs sans causes.
Les grands bois, leur silence aux charmes apaisants
Berceront, mais en vain, tes souvenirs cuisants.
Ni l’haleine des eaux ni le vent des pelouses
N’éteindront l’âpre feu de tes veines jalouses.
La paix des bois, la paix immuable des cieux,
Impassible ironie, irriteront tes yeux.
Alors, ô déplorable, ô triste créature !
Comme la Muse et l’art tu fuiras la nature.
Par la douleur aigri, de toi-même lassé,