Page:Lacaussade - Poésies, t2, 1897.djvu/78

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Par un vent de malheur sur nos grèves jetés ?
Ne voulant voir en eux que des déshérités,
Notre île hospitalière accueillit leur détresse
En mère, et sur leurs deuils mesura sa tendresse.
Abritant leurs fronts las, de son ciel tiède et pur
Elle étendit sur eux la coupole d’azur ;
Sous leurs pieds écartant les épines jalouses,
Elle ouvrit le velours de ses molles pelouses,
Fit chanter, pour bercer leurs souvenirs amers,
Les oiseaux de ses bois et les flots de ses mers,
Et leur prouva par l’acte et non par la parole
La chaude loyauté de l’amitié créole.

Mais tes fils adoptifs ont trahi tes bontés.
Ils ont porté la mort dans tes champs dévastés.
Le froid amour de l’or éteignant dans leurs âmes
Le foyer virginal et noble aux belles flammes,
Ils ont privé ton ciel de ses peuples d’oiseaux,
Tes plaines de leurs fleurs, tes nymphes de leurs eaux ;
Et, sapant tes forêts, ô ma mère ! leur glaive
Fit tomber de ton front ta chevelure d’ Ève.
Et nous avons permis que leurs bras éhontés
Missent à nu les flancs qui nous ont enfantés !
Et sous nos yeux ils ont, de leurs mains libertines,
Profané les secrets de tes formes divines !
Et nous l’avons souffert ! et nos justes fureurs
N’ont pas honni, chassé ces durs dévastateurs
Que la vague en courroux, rebuts d’un autre monde,
Déposa sur nos bords comme une vase immonde !