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Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/152

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— Ceux qui ne me trahiront pas les premiers, lui répondit Lacenaire, n’auront jamais rien à craindre de moi…

— C’est égal, je ne suis pas décidé aujourd’hui.

— Eh bien ! n’en parlons plus…

Et de toute la semaine il ne fut plus question de ce meurtre. Lacenaire y pensait toujours et comptait sur la nécessité pour stimuler Avril.

Cependant, les jours s’écoulaient et l’argent devenait rare. Les deux associés demeuraient dans un garni mal famé de la rue Saint-Maur, faubourg du Temple, tenu par une vieille femme nommée la veuve Desforest. Ils partageaient la même chambre. Avril éprouvait de plus en plus le besoin de boire, et la veuve Duforest, — la veuve ! — on sait que c’est ainsi que les voleurs désignent la guillotine, — la veuve Duforest commençait à refuser le vin et l’eau-de-vie aux deux brigands. — Avril réfléchissait, — c’était mauvais signe ! — Il devenait de plus en plus sombre, et c’était ce que voulait son horrible camarade. De temps en temps, le libéré de Poissy faisait des allusions à la fameuse armoire de Chardon, et ramenait la conversation sur cet homme ; mais Lacenaire, le voyant venir, laissait tomber l’entretien sur ce sujet et laissait Avril à ses réflexions.

Quelle affreuse association que celle de ces deux êtres, pour ainsi dire en gestation d’un même crime ! — L’un, calme et sinistre comme le serpent logé dans les lianes, ne se pressait pas et attendait, trop sûr qu’il était de l’effet de son venin ; l’autre, dans le cerveau duquel fermentait déjà le meurtre, était le tigre que la voracité va précipiter d’un bond sur sa proie !