Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/19

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tais très coloré dans ma jeunesse ; je pense même, sans avoir été précisément beau garçon, que j’avais une physionomie assez remarquable. J’avais de fort beaux cheveux, quoique clair-semés. S’ils ont blanchi avant le temps ordinaire, c’est plutôt à l’étude et à une réflexion continuelle qu’il faut l’attribuer, qu’aux malheurs et aux chagrins, qui ont eu peu de prise sur mon âme, aussitôt que je l’ai voulu.

« Il semble que la nature se soit fait un jeu cruel de rassembler en moi tous les dons les plus précieux pour me faire parvenir à ce que le monde appelle le comble de l’infamie et du malheur. J’étais né avec toutes les qualités qui peuvent faire le bonheur de l’individu et l’ornementde la société. Est-ce ma faute si j’ai été obligé de les fouler aux pieds moi-même ? J’avais un cœur délicat et sensible ! Porté à la reconnaissance et aux plus tendres affections, j’aurais voulu voir tout le monde heureux autour de moi. Rien ne me paraissait si doux et si digne d’envie que d’être aimé. La vue du chagrin d’autrui m’arrachait des larmes. Je me souviens, à l’âge de sept ans, d’avoir pleuré en lisant la fable des Deux Pigeons. Je devinais à cet âge, étant seul et isolé, quel sentiment c’était que l’amitié. Mon esprit vif et pénétrant eût fait de moi un homme plus brillant que solide, si les injustices dont j’ai été l’objet au sein de ma famille ne m’eussent pour ainsi dire forcé de me replier en moi-même, de chercher mes jouissances dans mon propre cœur et de me dépouiller d’une sensibilité que je dus regarder comme un présent funeste et dont la nature ne dotait que ceux dont elle avait résolu le malheur. »