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Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/304

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besoins, lutter longtemps encore contre l’adversité ! — Mais bientôt il subit la loi commune, il est reconnu par ses anciens compagnons de captivité, signalé comme flétri ; encore une fois la misère vient l’atteindre, la misère et avec elle la faim, ce terrible argument contre lequel vient se briser la morale. Il retombe, et une seconde fois la justice s’empare de lui.

Son esprit s’exalta… Repoussé, maltraité par le monde, il se crut, suivant ses propres expressions, en état de légitime défense contre la société ; obligé de vivre avec des misérables dont les habitudes et le caractère contrastaient horriblement avec ses manières distinguées, il jura de devenir leur chef et de les surpasser. Pour leur montrer qu’il était digne d’eux, il apprit cette langue entée sur notre langue comme une sorte d’excroissance hideuse, cet idiome infâme dont quelques mots prononcés dans le débat ont blessé vos oreilles : le désespoir, la honte, la souffrance desséchèrent son cœur ; il se dit que la vertu n’était qu’un mot, le crime qu’une œuvre de raison. Il arriva à ce degré de cynisme et d’insouciance qui ne peut être la suite que des grandes infortunes ; il ne vit plus dans la vie qu’une occasion de jouissances qui devaient se satisfaire à tout prix, qu’une guerre entre celui qui possède et celui qui n’a rien ; dans la mort qu’une cessation de mouvements, de sensibilité, d’activité, de douleur, qu’un retour au néant plus ou moins rapproché, devant lequel ce serait folie que de trembler.

Ces idées devinrent pour lui une seconde nature.

Il méditait à l’avance de sinistres projets, de funestes