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Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/310

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Il est d’ailleurs, pour un homme de cette sorte, mille moyens de défense : il peut au moins conserver la vie : mais la vie, il la veut heureuse, et plus de fortune possible !… Il parle alors, raconte, dans tous ses détails, le meurtre de Chardon : à peine un soupçon planait-il sur sa tête !

Voilà, messieurs, l’homme que vous avez à juger… Je vous l’ai montré tel qu’il m’est apparu, et tel, j’espère, que vous l’aurez compris… Je vous l’ai montré, poursuivi par une terrible fatalité, essayant de lutter contre elle, la prenant corps à corps, se roidissant de toute sa force, et toujours terrassé. C’est à vous maintenant de peser ses malheurs et de vous demander si les déceptions, la souffrance, la honte et le désespoir n’ont pu enfanter chez cet homme une maladie cruelle et invincible, si, au lieu d’un barbare assassin digne de votre colère, ce n’est point un esprit malade et digne de votre pitié.

Son insensibilité à la vue de ses victimes ; — cette absence de tout remords ; — cette tranquillité, ce calme qui n’ont rien d’affecté ; ce sourire perpétuel ; cette liberté d’esprit qui lui permet de tracer une chanson à la veille de son jugement ; — cette attitude à l’audience, où il semble attacher plus de prix à une discussion littéraire qu’aux résultats de votre verdict ; — cette confiance dans l’athéisme ; ce sang-froid devant l’échafaud, et puis cet amour passionné pour les lettres.

Tout cela me frappe et me bouleverse ; tout cela, je ne puis l’expliquer, et les causes les plus célèbres ne nous en offrent aucun exemple.

Méditez, appréciez ce que je ne fais qu’indiquer ici,