Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/324

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Ses occupations quotidiennes consistaient à recevoir des visites, à écrire des lettres, à lire les journaux, à suivre une polémique avec le Corsaire, et il s’occupait beaucoup plus en ce moment de M. A…, qu’il accusait de lui avoir ravi une partie de sa gloire comme chansonnier, que de François et d’Avril.

Il s’était accompli d’ailleurs une transformation complète dans l’âme de ce dernier condamné. Autant il avait été irascible et violent à la Cour d’assises, autant il se montrait résigné depuis sa condamnation. Il n’en voulait presque plus à Lacenaire, et voyant l’impossibilité de vivre après les charges accablantes qui avaient pesé sur lui, il s’était laissé aller à la domination que son complice exerçait sur son esprit. Comme un soldat qui se repent d’avoir menacé son supérieur, Avril avait fait entendre des paroles où perçait le regret de s’être révolté contre son chef de file, et celui-ci, en apprenant la disposition d’esprit de son complice, avait manifesté à son tour le désir de faire un réveillon avec son vieil ami.

Au milieu du repas, les instincts sanguinaires d’Avril s’étaient réveillés. Voici comment on s’en était aperçu. Lacenaire avait laissé presque intact un morceau de viande saignante qui faisait partie du festin. Avril le gourmanda sur cette abstention :

— Tu n’aimes donc plus le sang, Lacenaire ? lui dit-il.

— Ma foi, non, répondit le poète-assassin.

— Eh bien, moi, je l’aime toujours, répondit Avril. Et prenant à deux mains le plat où la viande incuite