Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans un cabaret-auberge situé à la sortie de la ville, et vida coup sur coup plusieurs chopes. Cette libation ne l’ayant pas désaltéré, il avala ensuite comme pousse-bière la moitié d’un verre ordinaire d’eau-de-vie ; puis il se disposa à repartir après ce rafraîchissement.

Mais, au moment de franchir la porte du cabaret, le pétillement d’une lèchefrite s’élevant de l’intérieur vint chatouiller son appareil olfactif. Le banqueroutier n’était pas seulement un ivrogne distingué, c’était encore un gourmand de première classe. Heureusement pour lui : — il se retourna vivement, ouvrit les narines comme un cheval de guerre au son de la trompette, et aspira le parfum pénétrant qui remplissait d’appétit l’air de la maison ; puis, jetant un coup d’œil mélancolique sur le beurre qui sautait dans la poêle et retombait en gouttes écumantes sur ses parois :

— Il n’y a qu’en Suisse, dit-il, qu’on entend la friture… quelle odeur ! quelle dorure !

Lacenaire avait autre chose à faire qu’à écouter les accents de ce lyrisme culinaire ; il saisit vivement par le bras le gourmand enthousiasmé pour le faire sortir de cet état d’exaltation. Le Lyonnais résista à cette pression ; en résistant, il trébucha comme Silène sur les marches de la porte, et tomba les quatre fers en l’air aux grands éclats de rire de plusieurs Allemands qui fumaient et buvaient au fond de l’établissement.

Furieux déjà d’être obligé de partir, et heureux de trouver un prétexte pour se rattacher à cette cuisine irrésistible, il fit volte face et alla en trébuchant vers les rieurs.