Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pouvez-vous me dire mein herr, ce que vous trouvez de si réjouissant dans ma chute ? — leur demanda-t-il avec l’accent traînant et empâté d’un homme qui veut lutter contre l’ivresse.

Les habits souillés, le regard atone et la trogne vermillonnée de l’interpellateur redoublèrent l’hilarité des fumeurs. Alors, sans ajouter un seul mot à son discours, l’homme ivre saisit un moth vide et le jeta à la tête de l’un des rieurs. Mais le coup fut heureusement si mal dirigé, que l’individu menacé put éviter ce choc désagréable. La dispute s’alluma alors. D’un seul de ces coups de poings allemands que le prince Rodolphe devait distribuer avec tant de succès plus tard au Chourineur des Mystères de Paris, on étourdit le malencontreux assaillant.

Lacenaire laissait les horions grêler sur sa tête. Il aurait voulu le voir assommer d’un seul coup ; mais, la chose tardant à se faire, il fut obligé, par une pudeur hypocrite, de le dégager de la bagarre. La chose faite, il chercha à l’entraîner dehors, de peur d’un nouvel abordage qui n’aurait fait que retarder sa vengeance ; mais le vaincu ne voulut jamais s’éloigner du cabaret.

— Mon chapeau est trop défoncé, mon visage passe à travers… attendons la soirée ici, — disait le Lyonnais meurtri.

Ce n’était qu’un prétexte pour colorer sa résistance. En réalité, la poêle où chantait la friture odorante attirait notre homme comme un invincible aimant. Ses grands yeux de beurre le fascinaient. Malgré tous les raisonnements, il resta sous leur charme, et comme il avait encore