Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/55

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si je ne suis pas un sot de me faire gagner mon argent par des inconnus…

— Il est vrai, lui répondit son adversaire piqué, que je n’ai aucun oncle député et orateur ; mais au moins, dans ma famille, jamais on n’a chanté la palinodie ni fait le saltimbanque.

— Que voulez-vous dire, monsieur, je ne vous comprends pas ! — reprit le neveu pâle de colère et les lèvres frémissantes.

— Ce n’est pas à moi de vous l’expliquer, monsieur, si vous ne connaissez pas l’histoire contemporaine et les sauts de carpe de monsieur votre oncle à l’époque des Cent-Jours !

En parlant ainsi, le joueur faisait allusion à une fameuse et virulente protestation dirigée par Benjamin Constant contre l’Empereur, marchant de l’île d’Elbe sur Paris, et à l’acte qui en fut la suite.

En effet, Benjamin Constant avait lancé contre le fugitif une des plus brûlantes invectives dont les fastes de la politique fassent mention, et il avait pris, en prévision de la réinstallation de Napoléon sur le trône, une de ces résolutions stoïques dont les grands écrivains trouvent plus souvent la formule sous leur plume que le courage de les accomplir dans leurs cœurs. Dans cette objurgation passionnée comme une catilinaire, il disait en parlant du vaincu de la coalition européenne :

« Il reparaît sur notre territoire, cet homme teint de notre sang ; il reparaît, cet homme poursuivi naguère par nos malédictions unanimes.