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Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/38

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BOIS-SINISTRE

XX

LA TRAGÉDIE


Minuit avait sonné depuis longtemps lorsque Denis Grandin se décida enfin à aller se coucher.

Comme il montait l’escalier, il entendit pleurer Olivette. L’enfant sanglotait : évidemment, il y avait assez longtemps qu’elle se désolait ainsi.

— Qu’y a-t-il, fée Olivette ? demanda Denis Grandin, en entrant dans la chambre de l’enfant, où brûlait une petite veilleuse.

— Je veux petite maman ! sanglota l’enfant. Je la veux !

— Chérie, petite maman dort : il ne faut pas l’éveiller. Ne ferais-je pas aussi bien ton affaire ? Ou bien Gervaise, la bonne ?

— Non ! Non !… Je n’aime pas Gervaise ! Elle est méchante, méchante ! Elle m’a pincée, l’autre jour, puis elle m’a dit qu’elle me battrait si je le disais qu’elle m’avait pincée.

— Vraiment ! s’écria Denis Grandin.

— Oui… Gervaise… elle dit qu’elle déteste les enfants…

— Alors, fée Olivette, nous allons nous dispenser de ses services, dès demain : je la mettrais dehors ce soir même, si je le pouvais. Nous trouverons une autre bonne pour toi, petite chérie.

— Je veux petite maman ! persista l’enfant.

— C’est bien, mignonne, je vais l’éveiller petite maman. Mais ne pleure pas ainsi, je te prie !

Quoiqu’il lui coûta beaucoup d’éveiller sa femme, Denis Grondin se rendit dans leur chambre à coucher afin de l’appeler. Quelle tranquillité ! Quel silence dans cette chambre ! Et comme Nina dormait profondément !

— Nina ! appela-t-il. Il m’en coûte de t’éveiller, mon aimée, mais…

Ne recevant pas de réponse, il se pencha sur le lit avec l’intention d’éveiller sa femme doucement, avec un baiser.

En se penchant sur le lit, il éprouva le plus terrible choc imaginable et une expression d’extraordinaire étonnement se peignit sur ses traits : Nina n’était pas là ; même, le lit n’avait pas été défait.

— Elle a dû s’étendre sur le canapé de la bibliothèque ou celui de l’étude et s’y endormir, se dit-il.

À la course, il descendit l’escalier et il fonça dans la bibliothèque ; ne la trouvant pas là, il courut à l’étude… elle n’y était pas… ni dans aucune des pièces du premier palier…

Saisi de panique tout à coup, Denis Grandin se mit à courir comme un insensé de la bibliothèque à l’étude, de l’étude au salon, du salon à la salle d’entrée, sanglotant tout le temps et appelant sa femme, sa Nina bien-aimée.

Le cocher, qui venait de se mettre au lit, entendit son maître et il descendit au premier palier, tout effrayé, voir ce qu’il y avait.

— Qu’y a-t-il, Monsieur… mon maître ? demanda-t-il.

— Ma femme… Mme Gramdin… Je ne puis la trouver nulle part dans la maison… Où… où est-elle ? Dieu tout-puissant, où peut-elle bien être ?

— Je vais aller éveiller Angélique, la fille de chambre, dit le cocher ; peut-être pourra-t elle nous dire où est allée Madame.

Lorsqu’Angélique arriva dans la bibliothèque, où Denis Grandin s’était retiré, la fille de chambre était à moitié éveillée. Elle ne put donner grand renseignements concernant sa maîtresse cependant ; elle dit que Mme Grandin avait veillé dans la salle d’entrée jusqu’à vers les neuf heures. À cette heure, elle avait sonné Angélique et lui avait dit :

— Angélique, la soirée était si chaude et si belle, je crois que je vais aller m’asseoir dans le bocage, un peu… il fait toujours si frais sous les sapins ! Apportez-moi ma collerette, s’il vous plaît.

— Dans le bocage ! Le petit bois ! s’écria Denis Grandin en pâlissant.

— Oui, Monsieur, répondit Angélique. Quand je lui apportai sa collerette Mme Grandin me sourit et me dit : Vous pouvez vous coucher si vous le désirez, maintenant : Je n’aurai plus besoin de vous. Merci, Madame, ai-je répondu. Et lui ayant souhaité bonne nuit, je me retirai… Et je ne l’ai pas revue depuis ma chère maîtresse, ajouta la fille de chambre en pleurant, car elle devinait bien qu’il y avait quelque chose hors de l’ordinaire dans la disparition de Mme Grandin.

— Vous pouvez vous retirer maintenant, Angélique, répondit Denis Grandin, d’une