sant légèrement les épaules. Ce qu’elle appréhende peut-être, c’est la colère de son grand-père, s’il venait à apprendre que sa petite-fille s’est fait des amis, à W… et à la Ville Blanche.
— Non ! Non ! Je vous dis qu’il y a autre chose, M. Ducastel !… Souvent je vois les yeux de la pauvre enfant se remplir de larmes… sans cause, me semble-t-il.
Mais Yvon se dit qu’il n’était guère surprenant qu’Annette souffrit moralement ; quand on connaissait M. Villemont, l’homme de la Maison Grise !…
— Continuez à être bonne pour elle, Mme Francœur, se contenta-t-il de répondre ; elle mérite d’être protégée et… aimée.
N’oublions pas de dire quelques mots de Patrice Broussailles maintenant. On prétendait qu’il courtisait Madeleine Blanchet, la jeune fille qu’il avait choisie pour compère, lors du baptême de la cloche de l’église. Or, les Blanchet étaient très flattés des attentions du « professeur » envers leur fille, ce qui faisait hausser les épaules à Yvon Ducastel et murmurer :
— Ces pauvres gens ! Ils ne sont pas difficiles !
Disons aussi, puisque nous parlons de tous ceux qui nous intéressent, que Léon Turpin, l’enfant infirme du sellier de W…, était « monté en grade » ; de commissionnaire de la houillère, il était devenu garçon de bureau « pour M. l’Inspecteur, s’il vous plaît » disait-il, à qui voulait l’entendre. Yvon avait fait nettoyer une minuscule pièce attenant son propre bureau ; dans cette pièce il avait fait installer deux chaises, une petite table et un pupitre.
Avec quelle joie et de quel air important Léon parlait de « mon bureau, mon pupitre, mes papiers » ; c’était à en mourir de rire ! Inutile de le dire d’ailleurs, l’enfant ressentait un véritable culte pour Yvon ; il avait même consenti, pour faire plaisir à « M. l’Inspecteur », de s’instruire un peu.
— Écoute, Léon, lui avait dit Yvon, je ne veux pas d’un garçon ignorant dans mon bureau, tu dois le comprendre. Il va falloir que tu t’instruises un peu, si tu veux que je te garde avec moi.
— Aller à l’école, vous voulez dire, M. l’Inspecteur ? avait demandé le garçonnet, d’un ton réellement attristé.
— Bien… Non… Voici ce que nous allons faire : trois soirs par semaine, le lundi, le mercredi et le vendredi, tu viendras me trouver, chez Mme Francœur, et je te ferai la classe.
— Certainement, j’irai ! répondit Léon.
— Il te faudra étudier aussi, entre les leçons que je te donnerai ; car, je t’en avertis, je serai un maître sévère ! fit Yvon en souriant.
— J’étudierai, je vous le promets, M. l’Inspecteur ! s’exclama l’enfant.
Mais, pour revenir au jour où nous retrouvons tout notre monde, de W… et de la Ville Blanche, il était cinq heures de l’après-midi et Yvon se disposait à quitter son bureau pour retourner chez lui, lorsque Léon entra, après avoir frappé à la porte. À sa main, l’enfant tenait une carte de visite.
— Un monsieur et une dame, qui demandent à vous parler, M. l’Inspecteur, annonça-t-il.
Il tendit au jeune homme la carte de visite, sur laquelle celui-ci lut :
Professeur de Minéralogie
Chicago,
U. S. A. »
— Fais entrer, Léon, dit Yvon. Puis lorsque l’enfant fut sorti, « M. l’Inspecteur » ébaucha un geste impatienté et murmura entre ses dents :
— Les gens devraient bien choisir mieux leurs heures pour venir me rendre visite ! Moi qui me proposais de faire une promenade à cheval, avant le souper !
Chapitre V
MONSIEUR ET MADEMOISELLE D’AZUR
Léon s’était rangé de côté, pour laisser passer les visiteurs de « M. l’Inspecteur » ; un monsieur et une dame.
Richard d’Azur s’avança, la main tendue et le sourire aux lèvres.
— M. Ducastel, inspecteur de la houillère, n’est-ce pas ? fit-il.