Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/99

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

sentit chaque fois, un coup terrible au cœur. La jeune aveugle, de son côté, n’avait pas paru le moindrement embarrassée, ni intimidée, d’être trouvée ainsi auprès du propriétaire de la Ville Blanche.

— Pourquoi se sentirait-elle mal à l’aise aussi ? se disait Yvon. N’est-elle pas la fiancée de M. Jacques et sa place n’est-elle pas au chevet de celui-ci, quand il est si malade ?

Un jour, en entrant au Gîte-Riant, il s’aperçut que Catherine, la domestique, avait les yeux rougis ; elle venait de pleurer, c’était évident.

— Qu’y a-t-il, Catherine ? demanda-t-il. M. Jacques ?…

— Ah ! M. Ducastel, M. Jacques est rempiré, depuis hier. Le médecin est inquiet.

— Vraiment ? s’écria Yvon.

— Oui… Si vous montez le voir, M. l’Inspecteur, ne le laissez pas parler, n’est-ce pas ; le docteur l’a défendu.

— Ne craignez rien, Catherine. Fiez-vous à moi.

— Je me fie à vous, bien sûr !

Mlle Villemont est-elle auprès de M. Jacques ?

— Non. M. Ducastel… Voilà trois jours que je ne l’ai vue la chère petite demoiselle.

Lionel Jacques était, en effet, beaucoup plus mal. Il paraissait avoir une fièvre intense et une toux sèche lui déchirait la poitrine. Pourtant, il reconnut son jeune ami, car, en l’apercevant, il lui sourit et lui fit signe de s’approcher de son lit.

— Yvon, dit-il, parlant avec effort, j’ai à te parler…

Une quinte de toux l’interrompit.

— Non ! Non ! Ne parlez pas ! fit Yvon. Le médecin l’a expressément défendu.

— Il faut que je te dise… Si… Si je… meurs… Dans mon coffre-fort… Une lettre… à ton adresse… Elle concerne… Annette…

— C’est bien ! J’ai compris, M. Jacques ! interrompit le jeune homme.

— C’est important… la lettre, et…

— De grâce, ne parlez plus ! implora Yvon. D’ailleurs, il n’est pas question pour vous de mourir…

— Annette… murmura le malade. M. Villemont… La Maison Grise

Mais tout cela s’était passé il y avait un certain temps, et maintenant, M. Jacques ne se ressentait plus du tout de sa dangereuse maladie. Il avait repris son genre de vie accoutumé et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Un mot d’Annette… Elle venait à W… presque chaque jour et Yvon la voyait et lui parlait souvent. Quatre ou cinq fois, depuis un mois et demi, il était allé la reconduire chez elle en voiture, à cause de l’orage, qui menaçait, et ne voulant pas qu’elle se risquât sur le Sentier de Nulle Part, en de telles conditions atmosphériques. La conversation, en ces occasions, était on ne peut plus amicale. Yvon appelait toujours Annette : « ma petite amie », et elle appelait le jeune homme « M. Yvon ».

Mais jamais il ne l’avait questionnée à propos de Lionel Jacques. Non. Ces confidences c’était à elle à les faire et Yvon se disait que ce serait manquer de délicatesse de sa part, que de lui poser des questions à ce sujet.

Et puis, notre jeune ami rencontrait Annette aussi chez les Francœur. Mme Francœur emmenait souvent la jeune fille dîner chez elle ; parfois même, quand l’aveugle avait, durant l’avant-midi, fait une recette suffisante, pouvant raisonnablement satisfaire les exigences de son grand-père, la brave femme la gardait avec elle tout le reste de la journée, et cela faisait grand plaisir à Yvon.

— Vous savez, M. Ducastel, lui avait dit Mme Francœur un jour, je l’aime Mlle Annette, comme si elle était ma fille.

— Je suis bien content ! avait répondu Yvon. Elle a besoin d’amies telles que vous, la pauvre enfant !

— Et je vous dis, moi, que cette petite a une peine secrète, M. l’Inspecteur, oui, une peine secrète !… Il y a quelque chose qui la tracasse et la rend infiniment malheureuse…

— Sa terrible affliction…

— Ah ! Oui ! Cela aussi, sans doute… Mais il y a autre chose, je vous le certifie… On dirait toujours qu’elle appréhende quelqu’événement…

— Allons donc ! fit Yvon, en haus-