Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
102
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Francœur ! s’écria Yvon. Ces gens sont des étrangers pour moi et ça m’est joliment égal que vous consentiez à les prendre pour pensionnaires ou non. C’est seulement en voyant le réel épuisement de Mlle d’Azur, la pauvre jeune fille, que je me suis décidé à plaider la cause de ces gens, croyez-le.

Bref, les d’Azur, père et fille, furent bientôt installés dans la confortable maison des Francœur. Quant à leur domestique, une voiture était allée la chercher à la gare.

Luella ne descendit pas à la salle à manger, lorsque sonna le souper et Yvon s’informa d’elle.

— Ma fille est si fatiguée, M. Ducastel, dit Richard d’Azur, qu’elle n’a pu se décider à quitter sa chambre.

— Désirez-vous que je lui monte une tasse de thé et de la nourriture légère M. d’Azur ? demanda Mme Francœur.

— Merci, Madame, répondit Richard d’Azur en s’inclinant. Mais aussitôt que Salomé arrivera, elle montera une tasse de thé et quelques biscuits à sa jeune maîtresse.

— C’est fort bien, fit Mme Francœur. Demain, Mlle d’Azur ne se ressentira plus de ses fatigues probablement.

— Espérons-le, dit le père de Luella. Elle n’est pas forte, voyez-vous, ajouta-t-il, en soupirant, et je suis toujours inquiet à son sujet, la pauvre enfant !

— Ah ! Voilà mon mari ! s’exclama Mme Francœur. Puis elle présenta Étienne à son nouveau pensionnaire.

Comme Mme Francœur ne tenait pas réellement une maison de pension, elle et son mari prenaient toujours leurs repas avec Yvon et à la même table que lui. Il n’était pas question de changer ce règlement, à cause de ces étrangers qu’elle avait consenti à prendre chez elle.

Les trois hommes causaient, tout en mangeant. Mme Francœur, occupée au service de la table, allait et venait, de la salle à manger à la cuisine et de la cuisine à la salle à manger, apportant les divers plats et les plaçant devant Yvon, afin qu’il en distribuât le contenu.

Yvon Ducastel était donc assis à la tête de la table, Richard d’Azur à sa droite et Étienne Francœur à sa gauche ; de la place qu’il occupait, ce dernier faisait face à la porte de la salle à manger ouvrant sur le passage.

Soudain, Yvon Ducastel et Richard d’Azur virent Étienne Francœur ouvrir démesurément les yeux et la bouche, tandis qu’une légère pâleur s’étendait sur ses traits.

— Là ! Là ! balbutia-t-il, en indiquant la porte d’une main tremblante.

— Qu’y a-t-il, Étienne ? demanda, stupéfaite Mme Francœur, qui venait d’entrer dans la salle à manger, munie d’un plateau contenant deux tasses à thé et deux soucoupes.

— Re… Re… garde… derrière toi, Na… Nathaline ! répondit Étienne, dont les dents claquaient de peur.

Mme Francœur se retourna… et aussitôt, jetant un cri d’épouvante, elle laissa choir sur le plancher le plateau qu’elle tenait à la main, puis elle courut vers la cuisine en criant :

— C’est le diable ! C’est le diable ! Chassez-le ! C’est le diable !



Chapitre VI

CHANGEMENT DE PROGRAMME


— Ah ! Te voilà enfin, Salomé ! fit, alors la voix de Richard d’Azur.

Nous venons de dire « la voix » de Richard d’Azur, car il avait adressé sa domestique en anglais, langue qu’Yvon seul comprenait, parmi ceux qui étaient présents.

Notre jeune ami, ayant avancé la tête, venait d’apercevoir celle dont l’apparition avait tant effrayé les époux Francœur. Quel fut son étonnement en constatant que Salomé, la domestique de M. et Mlle d’Azur, était une grande et corpulente négresse, du plus beau noir !… Il ne put s’empêcher de sourire ; dans la Nouvelle-Écosse, à W… dans tous les cas, les nègres étaient rares et clair-semés. Il est vrai que, chaque mineur qui sortait de la houillère, après y avoir passé quelques heures, avait le visage aussi noir que le plus noir Africain… seulement, après quelques ablutions, ce noir disparaissait complètement.