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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— C’est Salomé, la servante de M. et Mlle d’Azur, Mme Francœur, dit Yvon à la maîtresse de pension, qui venait de risquer un coup d’œil dans la salle à manger.

— Quoi ! s’exclama la bonne dame. Cette négresse !

— Mais, oui…

— Jamais je ne tolérerai une négresse dans ma maison, jamais, M. Ducastel ! J’ai peur de ça, moi, ce monde-là ! Et ça ne parle seulement pas le français cette femme ! s’exclama Mme Francœur, en s’avançant dans la salle.

— Écoutez, Mme Francœur… commença Richard d’Azur.

— Pourquoi ne pas m’avoir dit que Salomé était une négresse, Monsieur ? interrompit-elle, d’un ton fort mécontent. Si je l’avais su, vous pensez bien que je n’aurais pas consenti à…

— Voyons ! Voyons, chère Madame ! répondit Richard d’Azur de son ton le plus conciliant. Je n’avais même pas songé à vous renseigner au sujet de notre domestique ; je croyais que vous deviez savoir…

— Savoir ! cria Mme Francœur. Savoir que votre Salomé était une négresse !

— C’est que, voyez-vous, dans les États-Unis d’Amérique, où j’ai passé tant d’années, les Noirs sont très nombreux, surtout dans l’ouest et dans le sud, et ces gens s’engagent comme domestiques, généralement.

— Mais pas par ici, M. d’Azur, pas par ici !… Et je vous demanderai de vous chercher une pension ailleurs, car, votre domestique… elle me donnerait le cauchemar… et à Étienne aussi.

— Chère Mme Francœur, fit Richard d’Azur, je vous le demande, en grâce, essayez de comprendre notre situation : nous…

— C’est inutile, Monsieur ! s’exclama Mme Francœur en levant la main.

— Écoutez, je vous prie ! Salomé ne vous importunera nullement, car elle est attachée au service personnel de ma fille ; vous ne la verrez qu’aux heures des repas, ou si elle peut vous être utile à quelque chose, en aucun temps.

Pauvre Mme Francœur ! Elle fut difficile à convaincre. Yvon dut s’en mêler ; c’est lui qui parvint à lui faire entendre raison. Enfin, elle se laissa persuader, et Salomé s’installa chez les Francœur, pour tout le temps qu’il plairait à ses maîtres d’y rester.

Ça ne sera que pour trois ou quatre jours, après tout ! se disait Mme Francœur, en manière de consolation.

Trois jours s’étaient écoulés, depuis l’incident que nous venons de raconter. Le départ des d’Azur était fixé au lendemain. Il est vrai qu’ils ne parlaient pas de partir ; mais c’était chose entendue (selon Mme Francœur, dans tous les cas qu’ils ne devraient pas prolonger leur séjour à W…

Cependant, Yvon soupçonnait bien M. et Mlle d’Azur d’avoir changé subitement d’idée au sujet de leur départ, pour une raison ou pour une autre. Tout d’abord, ils n’avaient plus mentionné leur projet d’exploration de la houillère. Probablement qu’ils se proposaient de se joindre aux excursionnistes du jeudi suivant ; c’est-à-dire à Lionel Jacques, M. et Mme Foulon, et aux autres. Et puis, Luella prétendait aimer beaucoup W…, ce qui étonnait quelque peu le jeune homme, car cette ville minière ne devait pas avoir grand charme pour une élégante comme elle.

Yvon Ducastel eut été, assurément, fort étonné et peut-être aussi un peu ennuyé s’il avait connu la raison du changement de programme de ces gens. Nous allons en dire la raison en quelques mots.

Le matin du troisième jour de leur arrivée à W… donc, Luella alla frapper à la porte de chambre de son père. Celui-ci vint ouvrir, et quoiqu’il fût très occupé à faire sa correspondance, il accueillit aimablement sa fille.

— J’ai à vous entretenir de choses importantes, père, dit-elle. Êtes-vous très, très occupé ?

— Jamais trop pour prêter l’oreille à ce que tu as à me dire, ma chérie, répondit, en souriant, Richard d’Azur.

Ça ne sera pas long d’ailleurs ce que j’ai à vous dire, reprit Luella… C’est à propos de notre séjour ici…

— Il achève, fit Richard d’Azur, avec un soupir de soulagement, et