Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
140
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

qui déplut grandement à notre héros, car ce ton semblait contenir comme un semblant de menace.

— Je ne tiens pas à me présenter devant Mlle d’Azur dans mes habits de travail, répondit-il froidement.

— Mais… Il me semble que…

— Pas ce soir, dans tous les cas, M. d’Azur, dit Yvon, avec un sourire plus triste que des larmes.

Le millionnaire comprit, sans doute, car son visage se dérida.

— Ah ! Je crois comprendre ! fit-il, tendant la main à Yvon en souriant. À tout à l’heure donc ! ajouta-t-il, puis il se dirigea, en boitant, vers le salon.

Arrivé dans sa chambre, Yvon eut une véritable crise de désespoir. S’il se fut écouté il eut sangloté comme un enfant.

Le sort en était jeté ! La veillée ne se passerait pas sans qu’il fût devenu le fiancé de celle qui lui avait sauvé la vie… Annette… Il allait essayer de l’oublier… Ce serait mal de penser à elle désormais, puisqu’il en épouserait une autre… Car, il ne se faisait pas d’illusion là-dessus ; les d’Azur, père et fille, exigeraient que le mariage se fît le plus tôt possible.

— Mais, puisqu’il le faut, il le faut ! se dit-il, en revêtant hâtivement son habit de cérémonie. Serais-je un ingrat ? se demanda-t-il ensuite. Après l’acte héroïque qu’a accompli Mlle d’Azur, pourrais-je hésiter, même un instant à lui consacrer la vie qu’elle a sauvée ?… Allons !

En pénétrant dans le salon, il vit que Luella était seule ? Elle était installée dans un grand fauteuil en peluche rouge. Vêtue d’un négligé de soie blanche garni de rubans et de dentelles, elle paraissait bien frêle la jeune convalescente. Ses cheveux avaient dû être coupés durant sa maladie et de fines boucles blondes lui couvraient la tête. On eut dit une enfant, et Yvon se sentit quelque peu ému en la regardant. Si ce n’eut été de ces verres noirs lui cachant les yeux… ces verres déplaisaient au jeune homme… ils semblaient voiler quelque mystère…

À l’arrivée d’Yvon, Luella eut un petit cri de joie et elle lui tendit ses deux mains.

M. Ducastel ! fit-elle.

Mlle d’Azur !… Quel bonheur de vous savoir en si bonne voie de guérison !

— Père s’est vu obligé d’aller écrire une lettre pressée reprit-elle. Il vous prie de l’excuser ; il sera de retour dans quelques instants d’ailleurs.

Ce bon Richard ! Il savait si bien s’esquiver… quand c’était le temps !

Les deux jeunes gens se mirent à causer ensemble. À un moment donné, Yvon était assis tout près de la fille du millionnaire, lui offrant sa main et son nom… Son cœur, hélas, ne lui appartenait plus ; il l’avait donné à Annette, la jeune aveugle.

Et précisément au moment où Luella, émue, allait se jeter dans les bras d’Yvon, Richard d’Azur entrait dans le salon. Il feignit une grande stupéfaction devant l’attitude de sa fille ; mais Yvon se hâte de lui dire, en s’inclinant :

M. d’Azur, Mlle Luella a consenti à devenir ma femme… Nous espérons obtenir votre consentement.

— Mes enfants, dit Richard d’Azur, en pressant dans ses mains celles des deux jeunes gens, mon assentiment, je vous le donne… Aimez-vous bien !

— Merci, M. d’Azur ! répondit Yvon.

— Ô père ! Je suis si heureuse, père ! s’écria Luella en fondant en larmes.

— Luella… murmura notre ami, que l’émotion de la jeune fille affectait étrangement.

M. Ducastel, vous pouvez donner à ma fille le baiser de fiançailles, fit le père de la fiancée.

Yvon fit presqu’un mouvement de recul. Donner un baiser à sa fiancée !… Mais, oui… ça se faisait toujours ainsi… Il n’avait pas songé à ce… détail, et cela lui déplaisait au point d’en pâlir… Quelque chose… oui, quelque chose semblait s’interposer entre lui et Luella… Une voix, entendue déjà, paraissait lui murmurer : « Prends garde » !

À ce moment s’ouvrit brusquement la porte du salon et Salomé parut sur le seuil. (Heureuse interruption ! se dit Yvon). La négresse portait à la main un panier, qu’elle remit à son maître, en disant :

— Un câblogramme… Ça vient