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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Nous serons toujours amis, vous et moi, n’est-ce pas Annette ?

— Mais… Sans doute…

— Quoiqu’il arrive… et n’importe en quelles circonstances… l’amitié qui nous lie sera toujours le même ?

— Je… Je l’espère… murmura-t-elle, d’une voix attristée soudain.

Yvon ne pouvait s’attarder à causer plus longtemps, sans trahir son secret, sans prendre la jeune aveugle dans ses confidences en lui disant ce qui l’attendait (lui, Yvon) ce soir-là. Ils seraient toujours amis, lui et Annette… Ce n’était pas, certes, ce qu’il avait rêvé… mais d’incontrôlables circonstances mettaient obstacles à ses rêves.

— Au revoir, chère, chère Annette ! s’exclama-t-il.

— Au revoir, M. Yvon ! répondit-elle, en lui tendant la main.

D’un geste à la fois douloureux et passionné, il saisit cette main et la portant à ses lèvres, la couvrit de baisers, puis, sans plus dire un seul mot, il s’enfuit.

Richard d’Azur était rendu dans la salle à manger, lorsqu’Yvon descendit pour le souper.

— Ah ! M. d’Azur fit le jeune homme. Vous êtes presque tout à fait remis de votre entorse, à ce que je vois.

— Ça va mieux, beaucoup mieux, dans tous les cas, je vous remercie, M. Ducastel. Je parviens à monter et à descendre l’escalier, avec de l’aide, assez facilement maintenant.

— Et Mlle d’Azur ? Comment se porte-t-elle ce soir ?

— Beaucoup mieux, elle aussi. Elle nous attend dans le salon, en ce moment ; je lui ai promis à la pauvre enfant que nous irions la rejoindre là, après le souper.

Yvon se contenta d’incliner la tête en signe d’assentiment, puis il se hâte d’adresser la parole à Mme Francœur, qui venait de pénétrer dans la salle à manger.

— Eh ! bien, Mme Francœur, demanda-t-il en souriant, quelles nouvelles avez-vous de votre cher époux ? Doit-il revenir bientôt ?

— Je l’attends demain soir, M. l’Inspecteur, répondit, d’un ton joyeux, la maîtresse de pension.

— Il y a assez longtemps que M. Francœur est parti, n’est-ce pas ? questionna Richard d’Azur, pas du tout intéressé, mais désirant n’être pas ignoré.

— Mais, oui, M. d’Azur ! Depuis le soir du « désastre ». Même, nous étions encore dans l’incertitude et dans de mortelles inquiétudes sur le sort de M. Ducastel, lorsque mon mari est parti. Ce pauvre Étienne ! Ce qu’il en avait de la peine !

— Cet excellent M. Francœur ! s’exclama Yvon en souriant.

Mais je lui ai télégraphié tout de suite, le lendemain matin, pour lui dire que M. l’Inspecteur était sain et sauf…

— Grâce à ma fille… murmura Richard d’Azur.

Yvon ne put s’empêcher de froncer légèrement les sourcils ; de se faire lancer à la face, à tout propos, l’acte d’héroïsme de Mlle d’Azur ; de se faire rappeler, à chaque instant ce qu’il devait à la jeune fille, cela commençait à l’agacer excessivement.

Le jeune homme mangea à peine, et Mme Francœur le remarqua. Il était irritable, nerveux, et vraiment, il s’apitoyait sur son propre sort… Car, il en était convaincu, il y avait quelque chose de… d’anormal… il n’eut pu dire quoi, qui l’éloignait, instinctivement de Luella. Si, par hasard, la main de la jeune fille frôlait la sienne, il frissonnait…. De plus, il éprouvait une sorte de… oui, de répulsion à l’égard de la fille du millionnaire… N’était-ce pas ridicule ?…

Il y avait des moments où il plaignait Luella d’Azur… Pourquoi… Cela non plus il n’eut pu expliquer… C’était inexplicable aussi…

Ce soir cependant… tout à l’heure… il lui faudrait oublier tout cela et demander en mariage cette jeune fille pour qui, il le savait bien, il ne ressentirait jamais de sentiment plus doux que celui de la reconnaissance. De l’amour ?… Luella d’Azur et l’amour ; cela lui paraissait tout à fait opposé.

En se levant de table, Richard d’Azur demanda à Yvon :

— M’accompagnez-vous au salon, M. Ducastel ?

— Oui. Tout à l’heure, M. d’Azur.

— Pourquoi pas maintenant ? demanda le père de Luella, d’un ton