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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

pour quelque temps encore et nous consulter Luella et moi, avant d’en parler aux étrangers… Je me demande si ma… fiancée approuverait de ce que son père a fait ?… Ordinairement, une jeune fille aime à garder ces choses secrètes… du moins, jusqu’à ce qu’elle puisse exhiber son anneau de fiançailles… Et cela me fait penser !… Il faut que je fasse venir des catalogues de bagues, de la ville de Québec… J’écrirai ce soir.

N’allez pas croire que le visage d’Yvon Ducastel rayonnait de bonheur et d’amour, en faisant ces réflexions… Non. Il était parfaitement découragé… L’avenir l’effrayait, en quelque sorte… Ah ! Si c’eut été Annette, quelle différence cela eut fait !

Maintenant que tout W… savait à quoi s’en tenir, Yvon se dit qu’il irait à la Ville Blanche dès le lendemain après-midi (un samedi) et qu’il mettrait M. Jacques au courant. M. Jacques était son plus sincère ami et notre héros ne voulait pas que d’autres lui apprissent la nouvelle. Oui, il se rendait au Gite-Riant le lendemain !

Luella prit place à table, ce soir-là, pour le souper. Elle se déclara presque complètement rétablie et elle annonça que, à partir du lendemain midi, elle allait prendre part à la vie commune.

Yvon essaya de manifester une grande joie à l’énoncé de cette nouvelle ; mais, au fond, il se disait que cette… résurrection de sa fiancée allait le retenir captif plus qu’il le dédirait.

La veillée se passa agréablement en somme. On le sait, Luella pouvait causer intelligemment sur bien des sujets. Il fut question, entr’autres choses de la pétition d’Yvon et Richard d’Azur demanda au jeune homme de la leur lire… de la leur expliquer, en même temps, vu qu’il y aurait certains termes techniques qu’ils ne comprendraient pas. La pétition fut lue, puis discutée amicalement, après quoi Luella fit un peu de musique et Yvon un peu de chant. Leur étonnement à tous trois fut grand lorsque le cadran du salon sonna dix heures.

— Dix heures ! Déjà ! fit Yvon.

— Que la veillée a passé vite ! s’écria la jeune fille.

— Je crains fort que vous ayez veillé trop tard, Luella, et que vous vous en ressentiez demain ! dit notre ami.

— Oh ! Non ! répondit-elle en souriant et en secouant sa tête, si artistement bouclée. Mais je vais me retirer pour la nuit, ajouta-t-elle. Bonsoir père ! Bonsoir, Yvon !

— Bonsoir, Luella ! Bonne nuit ! fit Yvon, en accompagnant sa fiancée jusqu’à la porte du salon.

Elle lui tendit la main, sur laquelle il déposa un baiser… un peu froid peut-être, mais dont elle parut satisfaite.

Après le départ de la jeune fille, les deux hommes continuèrent à causer ensemble, tout en fumant. Onze heures sonnaient lorsqu’ils se disposèrent à se retirer chacun dans sa chambre.

Et au moment précis où ils montaient l’escalier, la cloche de la porte d’entrée sonna à trois reprises.

— Qu’est-ce que cela ? fit Richard d’Azur.

— Ça doit être M. Francœur, qui revient de voyage, répondit Yvon en souriant ; il était attendu ce soir, je sais.

Richard d’Azur eut un geste indifférent ; que lui importait, à lui le retour de M. Francœur ? Ah ! Qu’il était loin de se douter que le maître de la maison, arrivant de voyage ce soir-là, tenait dans ses mains le bonheur, la destinée de sa fille !

Lorsqu’Étienne Francœur se fut réconforté par un excellent et substantiel repas, il se sentit tout disposé à raconter son voyage à sa femme et à prêter l’oreille aux nouvelles locales qu’elle devait avoir à lui communiquer.

— Et tu dis, Nathaline, que M. Ducastel est tout à fait remis maintenant ?

— Certes, oui ! Huit jours après le « désastre », il était de retour à son bureau… Mlle d’Azur, elle aussi, est presque complètement remise…

Mlle d’Azur ?… Elle a donc été malade ?

— Malade ?… Je te le dis, mon homme ! Après sa terrible expérience, on ne pouvait s’attendre à autre chose.

— Sa terrible expérience, dis-