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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

tout près de moi, mais sans me voir.

— Impossible ! s’écria Mme Francœur. Comment auraient-ils pu passer près de toi sans te voir, je te le demande ?

— Je te dis qu’il en est ainsi ! M. d’Azur et sa fille étaient sur le chemin du Roi ; moi, j’étais sur la Route Abandonnée, là où le chemin et la route se rejoignent presque. M. d’Azur boitaitMlle d’Azur pleurait… Sa robe était en lambeaux et elle saignait abondamment d’une blessure à la tête.

— Dieu tout-puissant ! Que penser de…

— C’est un complot, tout simplement un complot… J’avertirai M. l’Inspecteur, dès demain… Non, tout de suite, dit Étienne en se levant.

— Étienne ! Étienne ! N’en fais rien, je te prie ! supplia Mme Francœur, en posant la main sur le bras de son mari pour le retenir.

— Mais… M. Ducastel…

— Oh ! Promets-moi de te taire, mon cher mari !… Mlle d’Azur, vois-tu… elle est passée au rang des héroïnes maintenant, et ce n’est pas la parole d’un pauvre journalier comme toi qui pourrait faire virer de bord l’opinion publique… Tu n’y gagnerais qu’à te faire des ennemis…

M. Ducastel me croira, lui, et c’est ce qui importe le plus, après tout, dit Étienne Francœur.

— Peut-être… Peut-être que M. l’Inspecteur te croira… murmura Mme Francœur. Cependant…

— Penses-tu que M. Ducastel l’aime cette jeune fille, Nathaline ?

— Non, je ne le pense pas…. Pourtant, promets-moi de te taire, Étienne !

— C’est bon ! Je promets de garder le silence… à moins que des circonstances ne me contraignent, un jour, à parler, répondit Étienne Francœur.

Et son épouse dut se contenter de cette promesse.


Chapitre VI

CE QUE VIT YVON


Au dîner, le lendemain Yvon annonça qu’il irait à la Ville Blanche, dans le courant de l’après-midi.

— Mais ! Ne m’aviez-vous pas dit que vous aviez de l’ouvrage à votre bureau cet après-midi ? demanda Luella.

— Oui, bien sûr, Luella ; de l’ouvrage qui me retiendra probablement jusque vers les trois heures. Ensuite, j’irai chez M. Jacques.

— Je croyais… Je croyais que vous passeriez le reste de la journée, en revenant de votre bureau, avec moi, fit la jeune fille d’une voix tremblante.

— Qu’est-ce qui vous presse tant d’aller à la Ville Blanche, M. Ducastel ? demanda Richard d’Azur, qui avait pris l’aimable habitude d’intervenir, à propos de tout et de rien, dans les conversations entre les fiancés, ce qui déplaisait infiniment à Yvon, inutile de le dire.

— Quand j’avais compris que… commença Luella.

— Écoutez, Luella, fit le jeune homme, en faisant des efforts inouïs pour réprimer un geste impatienté, je m’en vais annoncer à M. Jacques la nouvelle de nos fiançailles, car je ne veux pas qu’il l’apprenne par d’autres que moi. M. Jacques était l’ami intime de mon père… il est, aussi le mien… le meilleur ami qu’on puisse avoir ici-bas. Donc, il serait en lieu d’être froissé si je négligeais de lui apprendre une nouvelle si importante, ajouta-t-il en souriant.

— Et vous souperez au Gîte-Riant, sans doute ? dit Luella, de sa voix de tête, si désagréable, et ayant peine à retenir ses larmes. M. Jacques ne vous laissera pas partir… avant la fin de la veillée.

— Ma chère enfant, répondit Yvon d’un ton calme, je sais bien que M. Jacques ne manquera pas de m’inviter à souper ; il est si hospitalier, si poli ! Cependant, je vous assure que…

— Que vous accepterez… Vous resterez à souper, et moi, je… je…

Éclatant en sanglots, elle se leva brusquement de table et quitta la salle à manger.

— Est-ce une manière de traiter votre fiancée, M. Ducastel ? demanda Richard d’Azur, dont le visage exprimait un grand mécontentement.

— Monsieur, répondit notre jeune ami voulez-vous vous mêler de vos