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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Ne craignez donc pas ! Cette bonne Salomé soutenait sa jeune maitresse par la taille et Mlle d’Azur avait la tête et les épaules enveloppée d’un châle blanc très épais.

— Ça se complique ! fit notre ami en riant. Dans tous les cas, Mme Francœur reprit-il, c’est bien gentil de votre part d’avoir accédé au désir de M. d’Azur, et en ma qualité de fiancé de Mlle d’Azur, je vous remercie de votre bonté.

— Je n’ai pas songé à refuser, pas même un instant, M. Ducastel ! répondit Mme Francœur. J’espère que la malade se trouvera bien de ce changement.

— Je l’espère, moi aussi ! répliqua le jeune homme, sur un ton presqu’indifférent et non sans hausser légèrement les épaules devant ce nouveau caprice de Luella.

On ne connait pas l’avenir… Qu’Yvon était loin de se douter du résultat qu’allait avoir, pour celle qu’il aimait en secret, ce changement de chambre de Luella d’Azur !


Chapitre X

UN FAUX DÉPART


— Eh ! bien, Luella, comment ça va-t-il ce matin ? demanda Richard d’Azur, en entrant dans la chambre de sa fille.

— Ça va mieux, beaucoup mieux… Je serai sur pied dans deux ou trois jours maintenant, probablement.

— Hâte-toi de guérir, ma chérie ! dit Richard d’Azur, en s’asseyant près du lit de Luella. Dans neuf jours, tu sais…

— Dans neuf jours mon mariage… Oui, je sais, père, et je serai prête à temps… Dire que, dans quelques jours je serai devenue Mme Ducastel ! Je ne dois pas avoir l’air d’une mariée, dans le moment, hein ? dit la jeune malade en riant.

— Je trouve que tu as l’air beaucoup mieux qu’hier…

— Et moins bien que je le serai demain, acheva-t-elle en souriant. Si ce n’était pas de ce continuel mal de tête… Et cela me fait penser… il n’y a presque plus d’alcool camphré dans la bouteille et ce n’est que l’application de cette solution qui me procure un peu de soulagement.

— Salomé va aller immédiatement à la pharmacie faire remplir la prescription, ma chérie, dit Richard d’Azur. Tiens ! ajouta-t-il, la voilà justement !

— Salomé, fit Luella, va chez le pharmacien et fais remplir la fiole d’alcool camphré ; il n’y en a plus.

— Tout de suite, Mlle Luella ! répondit la servante en s’emparant de la fiole et quittant la chambre.

La grande et corpulente négresse se promenait dans les rues de la ville maintenant sans provoquer ni étonnement, ni curiosité. Dans les premiers temps de son séjour à W…, c’était toute autre chose ; on se retournait, à plusieurs reprises souvent pour la regarder encore, lorsqu’on venait de la croiser et les enfants fuyaient à son approche en criant :

— Sauve qui peut ! La négresse ! La négresse !

— Vite ! Vite ! courons ! disait un autre. Elle va nous manger, pour sûr ! Sa bouche est assez grande pour nous avaler tout ronds.

Salomé sortit de chez le pharmacien portant à la main la fiole qu’elle venait de faire remplir. Elle marchait lentement, occupée qu’elle était de ses pensées, qui n’étaient certes pas riantes… M. d’Azur n’avait-il pas dit la veille, qu’elle ne les accompagnerait pas en Europe, lui et sa fille ; que Luella n’aurait plus besoin de ses services et qu’une personne de plus dans un tel voyage, entraînerait de grandes et inutiles dépenses.

Au souvenir de ces choses, les yeux de Salomé roulèrent dans leurs orbites, et ses lèvres s’écartèrent, découvrant une rangée de dents, larges et fortes, mais blanches et régulières. Une jeune fille qui venait sur le trottoir et qui allait croiser la négresse en chemin, eut peur ; elle traversa la rue afin de ne pas la rencontrer.

— Il n’osera pas… murmurait Salomé, en faisant allusion à son maitre. Il sait bien que je me vengerais de lui s’il persistait dans son idée d’essayer de se débarrasser de moi… Mlle Luella, elle, est indécise encore… elle hésite à insister pour que je les accompagne en Europe… Eh ! bien, j’y suis résolue, si on me… me chasse, j’aurai de fort intéressantes choses