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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

pas de cela, mon garçon ! Dis-moi plutôt… tout t’a bien réussi depuis… depuis lors ?

— Admirablement, puisque je suis devenu, à l’âge de vingt-cinq ans, « M. l’inspecteur »…, inspecteur des houillères de W…, répondit Yvon en souriant.

— C’est splendide cela !

— C’est… infiniment plus que je ne méritais, je crois.

— Ne parle pas ainsi, Yvon : cela me fait de la peine vraiment.

— Je ne parlerai plus du tout, car il faut que vous dormiez, M. Jacques ; nous reprendrons notre conversation demain, si vous le désirez.

— Si je le désire ? Certes ! Mais, je vais t’obéir et essayer de dormir… Est-il nécessaire de te dire combien je me réjouis de te revoir, si heureux et si prospère, mon cher enfant ?

— Cher, cher M. Jacques ! Merci ! s’écria Yvon. Ce que je suis aujourd’hui… ce que je deviendrai demain, c’est à vous que je le dois… J’ai suivi les conseils pleins de sagesse que vous m’avez donnés… ce soir où nous nous sommes séparés, et je ne le regretterai jamais… Je remercie Dieu de vous avoir retrouvé sur mon chemin ! acheva-t-il, tandis que ses yeux se mouillaient de larmes.

Évidemment, il s’était passé quelque chose d’important, de dramatique peut-être, jadis, entre Lionel Jacques, l’ex-Gérant de banque, et Yvon Ducastel, l’ex-assistant-caissier.


Chapitre VI

RÉMINISCENCES


Neuf heures du soir venaient de sonner. Lionel Jacques s’était endormi, et Yvon Ducastel s’était retiré dans le fond de la chambre à coucher, où était le canapé. S’étant assis sur un fauteuil, auprès d’une petite table, il s’était livré à d’assez sombres réflexions…

Mais, tout d’abord, il songea à son excursion projetée à travers la Nouvelle-Écosse, si étrangement interrompue, et au hasard, qui lui avait fait rencontrer sur son chemin, M. Lionel Jacques, le meilleur ami qu’il eut jamais eu, en ce monde.

Lionel Jacques et le père d’Yvon avaient été de grands amis.

Lors du décès de M. Ducastel, père, arrivé presque subitement, Yvon, âgé de dix-neuf ans, venait de commencer son cours à l’Université, en vue de devenir médecin, un jour.

M. Ducastel ayant mené la vie « à grands guides », avait laissé plus de dettes que d’argent en héritage à son fils ; conséquemment, Yvon avait dû abandonner ses études et se mettre à gagner sa vie.

Lionel Jacques prit donc le fils de son ami à la banque, dont il était le Gérant. Sans doute, le jeune homme dût commencer « au bas de l’échelle », mais sa promotion fut rapide ; si rapide que, dès l’âge de vingt-et-un an, il était devenu assistant-caissier.

Mais, malheureusement, le nouvel assistant-caissier, au lieu de prouver sa reconnaissance envers le Gérant par son assiduité au travail, se mit à arriver, assez souvent, en retard à l’ouvrage.

La première fois que cela lui arriva (et c’est une grave affaire, pour un employé de banque que d’être en retard, on le sait) le Gérant le fit venir à son bureau et lui en demanda la raison. Une raison fut donnée… et acceptée ; mais à condition que la chose ne se renouvela pas.

Cependant, elle se renouvela… Lionel Jacques réprimanda, encore une fois, son employé : il le menaça même de lui faire perdre sa place… Yvon promit d’être ponctuel à l’avenir… et il rompit sa promesse.

Un lundi matin, il arriva à la banque une heure en retard.

À peine eut-il pris place en arrière du guichet, qu’un employé, nommé Patrice Broussailles, vint lui dire que « M. le Gérant » demandait à lui parler.

— Et je crois qu’il va vous en administrer un « savon », mon cher ! dit l’employé en riant, car il a l’air tout chose M. le Gérant, ce matin.

Yvon haussa les épaules, par bravade, car il ne se sentait pas à l’aise.

— C’est bien, j’y vais, répondit-il. Mais s’il vous plaît gardez vos réflexions pour vous-même doréna-