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Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/43

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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Sans cesse aussi, il revoyait deux bras, blancs comme de l’albâtre, s’élever vers le ciel en un geste suppliant.

— Illusion d’optique… se répétait-il, comme pour se donner le change.

Pourtant, il eut joyeusement donné quelques heures de sa vie pour avoir, encore une fois, la vision de ce visage exquisément beau, qui lui était apparu, sous les rayons diaprés de la lune.


Chapitre XIV

LA MURAILLE


Le lendemain, Yvon fit l’ascension du Dard de Lucifer, afin d’avoir un aperçu du paysage environnant. Comme l’avait dit Lionel Jacques, il ne vit qu’une nature bouleversée ; à droite, à gauche, ce n’était que rochers de toutes formes, de toutes nuances et de toutes dimensions.

De l’endroit où il se trouvait, il faisait face, presque, au Sentier de Nulle Part. À sa gauche, rien… rien que des rochers, à perte de vue… À sa droite, des rochers encore ; seulement, là-bas, tout là-bas, il paraissait y avoir interruption : on entrevoyait un peu de verdure, une plaine unie, aboutissant à une forêt de sapins. Ces sapins formaient une véritable muraille, allant sur le même sens que le Sentier de Nulle Part. Qu’y avait-il derrière cette muraille ?… De vertes prairies, ou bien, encore des rochers ?

À quelle distance était la muraille de sapins, de la Maison Grise ? … Yvon se défiait de ses calculs, depuis que M. Villemont s’était tant moqué de lui à propos de son peu de notion des distances… La muraille en question était-elle à un mille, deux, trois, de l’endroit où il était, ou seulement à un demi-mille… un quart de mille peut-être ?… Mais enfin, qu’importait ! Ce qu’il eût voulu savoir c’était ce que cachait la muraille de sapins… Il le demanderait à Lionel Jacques ; celui-ci devait le savoir, puisqu’il habitait les environs.

Avant de retourner à la maison, Yvon se dirigea vers les deux gros rochers gris, entre lesquels il avait aperçu l’apparition… la nuit précédente… Peut-être trouverait-il quelque trace de son passage… si véritablement il n’avait pas été victime de son imagination…. Car, aux rayons plus prosaïques, moins fantastiques du soleil, notre jeune ami se demandait s’il n’avait pas rêvé, tout simplement… Le visage entrevu… il essayait vainement de se rappeler ses traits, à la lumière crue du jour…

Ah ! Les voici les deux gros rochers gris, qui lui avaient paru presque noirs… Mais si quelqu’un était venu là la nuit précédente, le roc nu ne révélait ni trace, ni empreinte.

— Bah ! J’ai rêvé ; voilà tout ! se dit-il. Ce visage si exquisément beau que j’avais cru entrevoir, je ne parviens plus à m’en remémorer les traits ; n’est-ce pas là une preuve certaine que j’ai dû rêver ?…. J’avais éteint ma lampe, je m’en souviens, afin de ne pas déranger M. Jacques ; or, rien n’invite au sommeil comme l’obscurité… Je me suis endormi… et j’ai pris pour une réalité ce qui n’était qu’un rêve.

Avant de rentrer dans la maison. Yvon s’engagea dans le Sentier de Nulle Part ; mais il n’y resta pas longtemps. Ce sentier, c’était pire, infiniment pire d’y cheminer à pied qu’à cheval. À pied, on se sentait si petit, si faible, au milieu des rochers dont on était entouré, et qui semblaient se rapprocher toujours davantage, comme pour écraser l’imprudent qui osait s’y aventurer.

— Brrr ! fit notre jeune ami, en frissonnant. Dire que j’ai parcouru la distance, de W… à la Maison Grise sur ce sentier !… On ne m’y reprendra plus, cela je le jure !

Hâtivement, il retourna à la maison.

— Que t’a révélé le Dard de Lucifer ? demanda Lionel Jacques, lorsqu’Yvon revint de son excursion.

— Des rochers. M. Jacques… Rien que des rochers…

— Je t’en avais prévenu.

— Seulement, vous qui connaissez les environs, pouvez-vous me dire ce qu’il y a derrière cette muraille de sapins, qu’on aperçoit, à sa droite, lorsqu’on fait face au Sentier de Nulle Part ? Sont-ce des ro-