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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

chers ? C’est extraordinaire comme elle m’intéresse cette muraille, M. Jacques.

— Ce ne sont pas des rochers, mais la prairie, la plaine verte et unie.

— Vraiment ? Mais cette muraille doit être presqu’impénétrable… du moins, elle m’a paru telle, du haut du Dard de Lucifer.

— Elle l’est, impénétrable… presque, dans tous les cas, répondit Lionel Jacques en souriant.

— Eh ! bien, ayant eu l’avantage d’admirer les environs, du sommet du Dard de Lucifer, je n’envie pas à M. Villemont son domaine… loin de là !… Comment un être humain peut se décider à vivre en un tel lieu, et cela, à la longue année, c’est un mystère pour moi !

Ce soir-là, Yvon voulut écrire une ou deux lettres pressées.

— Ah ! s’écria-t-il soudain, que j’ai été stupide !

— Qu’y a-t-il donc, mon garçon, et pourquoi t’injuries-tu ainsi ? demanda Lionel Jacques en riant. Qu’as-tu donc fait de stupide ?

— J’ai oublié d’acheter des tablettes et des enveloppes, hier, tandis que j’étais en ville. Et moi qui ai deux lettres importantes à écrire !

— Il reste encore du beau papier de demoiselle dans cette boîte, dit Lionel Jacques. Je te dirai bien, ajoutait-il en souriant jamais je n’avais, de ma vie, écrit sur pareil papier.

— Ma lettre peut attendre, heureusement… Je ne manquerai pas de m’approvisionner, demain, croyez-le !

— Iras-tu à W… demain, Yvon ?

— Oui, M. Jacques… Si vous avez besoin de quelque chose…

— Non, merci, mon garçon. Je crois que tu as pensé à tout, hier.

— Excepté au papier, fit le jeune homme, d’un ton mécontent.

Mais le lendemain, il plut « à boire debout ». La pluie avait dû commencer à tomber durant la nuit, ou bien dès l’aurore.

— Quel temps ! s’exclama Yvon, en s’approchant du lit de son compagnon.

— Il ne peut être question pour toi d’aller à W… aujourd’hui.

— Certes, non !… Ça manquerait de charme, et d’ailleurs, rien n’ennuie Presto comme la pluie lui tombant sur le dos.

Ce matin-là, lorsqu’il voulut pénétrer dans la cuisine, pour le déjeuner, il s’aperçut que la porte du petit corridor était hermétiquement fermée. Cette porte, on s’en souvient, s’ouvrait au moyen d’un passe-partout ; mais M. Villemont prenait toujours la précaution de la laisser entr’ouverte, du moins, aux heures fixées pour les repas.

Ayant frappé à la porte, la voix de M. Villemont lui répondit aussitôt :

— Oui ! J’y vais !

Il y eut quelques piétinements, puis la porte s’ouvrit.

— Ce n’est pas facile de pénétrer dans la cuisine, ce matin, à ce qu’il paraît ! fit notre jeune ami, assez mécontent.

Il ne reçut pas de réponse ; celui à qui il venait de s’adresser se contentant de hausser les épaules en souriant… d’un sourire désagréable, s’entend.

Un aboiement fit tourner la tête au jeune homme ; Guido, contrairement à ses habitudes, n’avait pas quitté la maison. Couché sur le seuil de l’une des portes du fond de la cuisine, le chien essayait, par tous les moyens possibles, de manifester à Yvon sa joie de le revoir.


Chapitre XV

AMOUREUX D’UNE VISION


— Guido ! Beau Guido ! fit Yvon, en s’approchant du chien, avec l’intention de le flatter.

— Guido ! fit l’homme de la Maison Grise, de sa voix de tonnerre, et le chien, tremblant de frayeur, retourna se coucher sur le seuil de la porte.

— Mon Dieu, Monsieur ! s’écria Yvon, au comble du mécontentement. Quel mal peut-il bien y avoir à ce que je flatte votre chien ?

— Je m’y oppose ; voilà !

— C’est on ne peut plus ridicule, à la fin !

— Comme vous voudrez, M. Ducastel. Mais, dans tous les cas, je tiens à être obéi.

— Je n’ai pas l’habitude… d’obéir… au premier venu, M. Villemont, répliqua Yvon, fort en colère.