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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

M. Jacques ! Nous sommes devenus amis, lui et moi ; il a même promis de m’appeler par mon petit nom dorénavant… Je l’ai quitté (le curé, je veux dire) à la porte de l’école, où il avait affaire.

— Ah ! Tiens ! À propos ! Notre maitre d’école (un autre notable de la Ville Blanche, entre parenthèse), tu le connais bien.

— Hein ? Je le connais, dites-vous ?

— Bien sûr !

— Qui est-ce donc, M. Jacques ?

— Devine…

— Je ne suis pas bon devineur, je vous l’assure, répondit Yvon en souriant.

— Eh ! bien, notre maître d’école, c’est Patrice Broussailles.


Chapitre III

SERMENTS D’AMITIÉ


Il sembla à Yvon, soudain, que la Ville Blanche pouvait être comparée à un grand bol de lait, dans lequel un insecte hideux et repoussant serait tombé… Patrice BroussaillesN’était-ce pas étrange que Lionel Jacques eut tant confiance en cet être vraiment perverti ?…

Yvon fut presque tenté d’éclairer l’ex-Gérant de banque sur certains faits concernant son ex-homme-à-tout-faire… La Ville Blanche, cet asile de paix, d’honnêteté et de bonheur, cet endroit idéal, ce paradis terrestre, était contaminé, selon lui, par la présence d’un Patrice Broussailles. Cependant il garda pour lui-même ses réflexions… Peut-être ce garçon avait-il changé de conduite… Les occasions, lui manquant, sans doute qu’il était devenu un modèle de sobriété maintenant… D’ailleurs, « noblesse oblige », n’est-ce pas ? et le maître d’école, celui à qui étaient confiées l’instruction et l’éducation des enfants de la Ville Blanche, savait se tenir à la hauteur de sa noble mission probablement…

Dans tous les cas, notre jeune ami se dit que ce n’était pas tout à fait de ses affaires la conduite de Patrice Broussailles et il résolut de se taire, entendu que personne au monde n’a eu à se repentir encore de ne jamais se mêler de ce qui concerne son prochain ; « entre l’arbre et l’écorce, etc., etc. ».

Huit jours s’étaient écoulés depuis le retour de Lionel Jacques en son domaine, et Yvon trouvait que le temps passait bien vite, trop vite, au gré de ses désirs. Deux fois, il était allé à W… ; une fois, pour y ramener l’express d’Étienne Francœur, une autre fois, pour y faire une simple promenade.

On était au mardi. Dans le courant de l’après-midi de ce jour, le jeune homme se disposa à retourner à la ville, y faire quelques commissions pour Lionel Jacques.

— Tu ne manqueras pas de revenir ce soir, n’est-ce pas, Yvon ? lui demanda son hôte.

— Bien sûr que non ! Je serai de retour, entre six et sept heures. M. Jacques, entendu que les règlements du Gîte-Riant ne sont pas aussi sévères que ceux de la Maison Grise, répondit Yvon en riant.

— Du moment que tu reviendras…

— Ne m’attendez pas pour souper cependant, M. Jacques, reprit notre jeune ami. Catherine me donnera bien une bouchée, si j’arrive en retard, je le présume.

S’étant acquitté de toutes ses commissions, Yvon se dit qu’il irait faire une petite promenade du côté de la houillère, voir ce qui s’y passait.

Arrivé à mi-chemin à peu près, entre sa maison de pension et le lieu de sa destination, il s’arrêta soudain ; c’est qu’il venait d’entendre le son d’une guitare.

— Annette, l’aveugle ! se dit-il. Ah ! La pauvre enfant ! Combien de fois depuis huit jours, j’ai entendu, de loin, le son de sa guitare !… Cette fois, je ne passerai pas sans arrêter.

Il s’approcha de l’endroit d’où lui parvenait le son de l’instrument sur lequel des doigts légers exécutaient des accords dans le mineur ; il comprit que ces accords devaient être le prélude d’une chanson. Il ne se trompait pas.

De la position qu’il occupait, Yvon ne voyait que le dos de la chanteuse. Il vit une taille svelte, presque frêle, une chevelure dorée, abondante et relevée selon la mode du jour ; cette chevelure de-