Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
78
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

fait mal à personne, que je sache. Mais je présume que c’est à cause de ces mystérieux bruits que M. Jérôme s’est défait du Gîte-Riant.

— Ça ne m’étonne guère ! s’écria Yvon.

— Moi, ça ne m’empêche pas de dormir, généralement, dit, en souriant, Lionel Jacques.

— Que penseriez-vous de l’idée de faire une petite investigation, vous et moi… de sonder les murs…

— Je l’ai fait plus d’une fois… et je n’ai rien découvert… rien… Mais, allons ! Commençons par les pièces de ce palier, puis nous descendrons jusque dans la cave.

Ils ne découvrirent rien ; il n’y avait ni passages, ni panneaux secrets… rien… D’ailleurs, les sanglots, les soupirs, les chuchotements surnaturels semblaient plutôt flotter dans l’espace… C’était assez sinistre, et vraiment, Yvon avait hâte de retourner dans sa prosaïque chambre, chez les Francœur ; là, au moins, le seul bruit qui troublait parfois son sommeil, c’était les sonores ronflements du digne couple.

Le lendemain, notre héros prit congé de Lionel Jacques, puis, à cheval sur Presto, il partit pour W…

Lionel Jacques parut très ému, au moment du départ de son jeune ami, et il l’invita fort chaleureusement à revenir, aussitôt et le plus souvent possible.

Cependant, tout en menant son cheval bon train, Yvon sentait son cœur se serrer lorsqu’il songeait à celui qu’il venait de quitter… Lionel Jacques avait changé, beaucoup changé… Pourquoi ?… Qu’y avait-il ?… Ces questions resteraient longtemps sans réponse, sans doute…

Notre jeune ami ne pouvait se défendre de ce sentiment d’étonnement et de malaise qui l’avait assailli, au Gite-Riant… N’était-ce pas plutôt une sorte de pressentiment ; le pressentiment d’une catastrophe prochaine ?


Chapitre X

DOUX PROJETS


Inutile de le dire, Yvon ne songea pas, même un instant, à mettre en pratique le conseil que Lionel Jacques lui avait donné ; au contraire, aussi souvent que possible, il rencontrait Annette et allait la reconduire chez elle… ou, du moins, à proximité de sa demeure. S’il l’eût pu, c’eut été tous les jours qu’il l’eut escortée ainsi ; mais, pas plus que par le passé, voulait-il attirer l’attention sur elle, ou donner prise à de désagréables remarques. C’était un véritable culte qu’il ressentait pour la pauvre aveugle.

Un bon point avait été gagné cependant. Mme Francœur avait fait la connaissance d’Annette et l’excellente femme était devenue l’amie toute dévouée de la jeune fille. Un soir, après le souper, notre héros avait entretenu longuement Mme Francœur au sujet de l’aveugle.

— Il lui faudrait une amie, bonne, sincère, dévouée, avait-il dit ; M. Jacques et moi, nous avons pensé à vous, chère Madame.

— Je vous remercie d’avoir pensé à moi, M. Ducastel, avait répondu la brave femme, et croyez-le, aussitôt que l’occasion s’en présentera, nous ferons connaissance toutes deux. Mlle Annette et moi… Je la connais de vue la pauvre petite, je vous l’ai dit, puisque j’ai souvent déposé des pièces de monnaie dans sa main.

— Je me fie à vous alors, Mme Francœur, dit Yvon. Mlle Annette est timide, et quoiqu’elle sente le besoin de se faire des amis, elle n’ose, à cause de son grand-père, qu’elle craint… non sans raison je crois.

— Je sais ! Je sais !… J’arrangerai les choses de mon mieux. ? M. l’inspecteur ; vous pouvez vous fier à moi.

Et cela ne tarda pas.

Un avant-midi, vers les onze heures, la pluie se mit à tomber. Annette s’était réfugiée sur une véranda. Tout à coup, une main se posa sur son épaule et elle entendit une voix qui lui dit :

Mlle Annette, vous ne pouvez rester dehors, sous cette averse. Pourquoi ne m’accompagneriez-vous pas chez moi ? Au moins, vous serez à l’abri, et puis, le vent est assez froid ce matin. Venez ! Un dîner bien chaud…