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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

ainsi qu’elle le disait dans sa chanson, s’illuminaient, lorsqu’ils rencontraient les siens…

Notre jeune ami n’était certes pas prétentieux ; mais il se croyait en droit de supposer qu’Annette lui rendait amour pour amour.

— Je saurai bientôt à quoi m’en tenir d’ailleurs, se disait-il, un soir, tandis qu’il veillait seul dans sa chambre, comme cela lui arrivait souvent. Demain, je la verrai… Aujourd’hui, je ne l’ai pas vue… J’étais en avance, ou en retard, à l’entrée du Sentier de Nulle Part, évidemment, puisqu’elle n’y était pas… Sans doute, il y a des jours où elle ne vient pas à la ville, car il m’est arrivé, plus d’une fois, de ne pas la rencontrer, au lieu de notre rendez-vous habituel… Tiens ! Il faut que je questionne Annette à ce sujet… j’étais sous l’impression qu’elle m’avait assuré qu’elle venait à W… tous les jours, sans y manquer.

Il eut un léger froncement de sourcils. C’est que ça le rendait un peu soucieux, beaucoup même, cette absence, si souvent répétée, de la jeune fille… Mais elle lui expliquerait cela facilement ; il n’avait qu’à la questionner.

Dans l’avant dernière semaine du mois de juin, il se produisit un incident, concernant directement la jeune aveugle, qui intrigua et mécontenta beaucoup notre héros. Comme il retournait à son bureau, après le dîner, ce jour-là, il aperçut Annette de loin ; auprès d’elle et lui parlant, était Patrice Broussailles.

Tout d’abord, Yvon se sentit envahi par la colère ; mais aussitôt, il eut un sourire amusé ; Guido veillait !… Les yeux du chien, fixés sur Patrice, surveillaient chacun de ses mouvements, et malheur au « professeur », s’il essayait d’ébaucher le moindre geste un peu familier envers la jeune fille !… Nous le répétons, Guido veillait ?

Patrice Broussailles entendit le pas d’Yvon. S’étant retourné vivement il le vit sourire, ce qui parut lui déplaire grandement.

— Ah ! M. Ducastel ! fit-il d’un ton gouailleur.

— Bonjour, Mlle Villemont ? dit seulement Yvon, en passant et ignorant complètement Patrice.

— Attendez donc un instant, Ducastel ! J’ai à vous parler ! dit Patrice en rejoignant Yvon sur le trottoir.

— Faites vite alors. Je suis pressé. Qu’y a-t-il ?

— Puis-je vous demander ce qui vous amusait tant, tout à l’heure ? M. Ducastel ? demanda Patrice, d’un ton qu’il voulait rendre provoquant, mais dont Yvon se soucia fort peu.

— Oh ! Rien ! répondit-il indifféremment.

— Vous paraissez avoir des objections à ce qu’on adresse la parole à Mlle Villemont, hein ?

— Pardon, M. Broussailles, riposta Yvon ; mais ce n’est pas moi qui ai des objections… c’est plutôt Guido, ajouta-t-il, en éclatant de rire.

— Que vous êtes spirituel, mon cher Ducastel ! s’écria Patrice, qui ne riait pas, lui.

— Permettez-moi d’ajouter, continua Yvon, que je ne considère pas avoir le droit d’intervenir, en ce qui concerne Mlle Villemont… Seulement, ce n’est pas l’habitude, à W…, d’imposer sa présence à cette jeune fille, ainsi que vous venez de le faire. Elle gagne sa vie à chanter dans les rues, voyez-vous ; chacun lui donne et… passe son chemin… sans l’importuner.

— Vous aussi… vous lui donnez… et passez votre chemin… comme les autres, sans doute ? demanda le maître d’école de la Ville Blanche, avec un sourire qu’Yvon trouva fort déplaisant. Dans tous les cas, vous vous faites le champion de Mlle Villemont et… pardon ! mais c’est à mon tour d’être amusé.

— Que voulez-vous dire ? Misérable ! s’écria Yvon, s’arrêtant court et réprimant à grand’peine l’envie de donner un soufflet à son interlocuteur.

— Qu’est-ce qui vous prend, mon cher ? fit Patrice, feignant de l’étonnement.

— Prétendez-vous faire des insinuations malveillantes contre le caractère de cette jeune fille ? Je… Je… Je ne sais ce qui me retient de vous tuer comme un chien !

— Mon cher M. Ducastel, dit Patrice d’une voix railleuse, ne vous excitez pas ainsi ! Voyez, ces deux individus qui viennent de s’arrêter