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Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/9

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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

vernois, dans le moment ? Le sais-tu ?

— Oui, je le sais, puisque j’en arrive.

— Eh ! bien ?…

— Il y a papa, puis M. Bourdon, puis M. Tréteau.

Stéphanne n’aimait guère voir son mari s’amuser avec « L’Loucheux », car cet homme, à tort ou à raison, n’avait pas une réputation très enviable. Quant à messieurs Bourdon et Tréteau, elle les connaissait bien ; c’étaient de braves gens.

À dix heures, elle se mit au lit, sûre qu’elle était que Jacques ne saurait tarder beaucoup à revenir à la maison.

Bien vite, elle s’endormit… pour s’éveiller tout à coup, avec la certitude d’avoir dormi longtemps.

Levant la mèche de sa lampe, la jeune femme regarda l’heure au cadran de sa chambre à coucher… Il était deux heures du matin !

— Ciel ! s’écria-t-elle. Il est deux heures du matin, et Jacques n’est pas encore de retour !… Que fait-il ?… Qu’y a-t-il ?… Un accident peut-être ?

À ce moment, elle entendit des pas montant l’escalier de la maison… Ces pas… Ils lui rappelaient des souvenirs… des souvenirs pénibles… Elle en avait entendu de semblables bien souvent… Sa mère… lorsqu’elle avait absorbé trop de stimulants… Cette démarche hésitante, trébuchante… ça devait être Jacques… ça ne pouvait être que lui !…

Soudain, il parut, dans l’encadrement de la porte de leur chambre à coucher… Il vacillait sur ses jambes… son visage était tout boursoufflé… ses yeux méconnaissables… ses mains tremblantes : il était ivre !

— Jacques ! cria Stéphanne. Ô mon Dieu ! ajouta-t-elle, fondant en larmes.

— Pleure pas… Pleure pas… bégaya-t-il, d’un ton et d’un air hébétés. Jeu de… de cartes… tu sais, Sté… Stéphanne… puis un coup… ou deux. Hé hé hé ! rit-il sottement.

Ce ne fut que le commencement ; après cela, Jacques Livernois prit l’habitude de jouer aux cartes pour de l’argent et de boire plus que de raison… Et Stéphanne ?… Sa mère, en la maudissant, lui avait-elle souhaité les plus terribles épreuves imaginables ?… Ah ! Jamais elle n’eut pu lui souhaiter rien de pire que ce qui lui arrivait… Elle qui avait l’ivrognerie en si grande horreur… et pour cause !…

Le 20 mai, jour anniversaire de leur mariage, une fille fut née aux Livernois, et pendant quelque temps, le jeune père, tout à son nouveau bonheur, passa ses veillées chez lui. Mais cela ne dura pas, et la petite Stéphannette avait à peine trois mois, que Jacques retrouvait ses mauvaises habitudes… et ses mauvais amis.

Un temps vint où les affaires, au magasin, commencèrent à péricliter. Le jeu et la boisson sont de sûrs conducteurs à la ruine. D’ailleurs, Jacques Livernois était malchanceux aux cartes ; le malheureux, la boisson aidant, perdait rapidement son avoir, et bientôt, il ne lui resterait plus probablement ni dignité ni honneur.

Mais le temps ne s’arrête pas en route pour compatir aux malheurs des humains ; il passe, indifférent, entraînant avec lui les jours sombres comme les jours ensoleillés.

Plusieurs mois s’écoulèrent, puis vint l’anniversaire de naissance de Stéphannette, et Jacques résolut de fêter sa petite. On donnerait une grande soirée, pour la circonstance, et Stéphanne, quoiqu’elle n’eut pas « le cœur à rire » ; qu’elle l’eut plutôt à pleurer, dut se préparer en conséquence.

Le 20 mai arriva. Tous ceux qui avaient été invités s’empressèrent de se rendre chez les Livernois, chacun apportant un petit cadeau pour la mignonne Stéphannette.

Jacques était parti immédiatement après le souper, « fermer le magasin » avait-il dit. Mais voilà qu’il passait huit heures et il n’était pas encore de retour…

Stephanne, nerveuse et inquiète, se demandait dans quel état son mari allait arriver… Lui ferait-il honte, devant tous leurs invités ?… Ah ! Comme elle maudissait les boissons enivrantes, la pauvre enfant !