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L’OMBRE DU BEFFROI

en chasser un brouillard, puis elle se remit à écrire :

« D’ailleurs, Monique porte, entre les deux épaules, un signe bien reconnaissable : une petite étoile rose. Seulement… il… il… »

La plume s’échappa des doigts d’Ondine, elle appuya sa tête sur ses deux bras repliés et elle s’endormit… Sa dernière pensée fut pour ses petites jumelles… Elle voulut se lever, aller les chercher… Mais elle ne put faire un seul mouvement…

Bientôt, elle dormait d’un sommeil lourd et pesant, tandis que ses enfants, abandonnées, vagissaient, dans la nuit.


CHAPITRE V

et l’autre ?


Il était deux heures du matin quand Febro revint chez elle. Voyant la salle éclairée, elle se dit :

— Les petites ne dorment pas et cette pauvre Mlle Ondine est obligée de les veiller ; elle va être épuisée la chère enfant !

À la hâte, elle détela Marpha, puis elle entra dans la maison. Tout était silencieux. Pénétrant dans la salle, elle aperçut Ondine, assise près du pupitre et dormant profondément : auprès d’elle était une lettre non achevée à son mari.

Mais, où étaient les petites jumelles ?… Ondine les avait-elle portées à l’étage supérieur ?… Ce n’était guère probable ; elle n’en eut pas eu la force. Alors, où étaient les enfants ?… Pas dans le lit d’Ondine, et nulle part dans la salle assurément…

À la course, Febro monta à l’étage supérieur, ouvrant les portes, les unes après les autres… Mais les jumelles n’étaient pas là… Où donc étaient-elles ?…

— Est-ce que j’ai le cauchemar ? se demanda Febro. Les petites ne sont pas dans la maison… Mlle Ondine les a, évidemment, oubliées dehors !

S’approchant d’Ondine, Febro essaya de l’éveiller : elle l’appela par son nom, à plusieurs reprises, elle la secoua par le bras… Ce fut en vain ; la jeune femme donnait d’un sommeil si profond qu’il était impossible de l’en tirer.

Alors, Febro fut prise de panique. À la course, elle se dirigea vers l’endroit où elle avait laissé les jumelles… Oui, le berceau était là, et même avant qu’elle l’eut atteint, elle entendit les plaintes d’une des enfants.

En un clin d’œil, Febro s’empara du berceau, qu’elle traîna jusqu’à la maison, et, quand elle fut parvenue sous les rayons de la lampe, elle enleva les couvertures enveloppant les petites : toutes deux étaient bleues de froid et elles tremblaient, comme du frisson. Marcelle pleurait ; mais Monique, les yeux entrouverts, les lèvres blanches, les traits pincés, ne proférait pas un son.

Hâtivement, Febro alluma le poêle de la cuisine, et bientôt, une chaleur presqu’intolérable régnait dans cette pièce. Elle déshabilla les enfants qu’elle enveloppa ensuite dans de chaudes couvertes, puis elle leur prépara du lait qu’elle ébouillanta.

Marcelle avait cessé de pleurer, et bientôt, elle se mit à boire très avidement le lait chaud. Quant à Monique, elle était toujours dans le même état : une sorte de coma, dont Febro ne parvint pas à la tirer. Un râle s’échappait de la poitrine de Monique : l’enfant avait pris froid et elle allait mourir !

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! pleurait Febro. Qui m’expliquera ce qui s’est passé ici ?… Mlle Ondine, que je ne parviens pas à éveiller, et ces deux petites, qu’elle a oubliées dehors, et dont l’une va sûrement mourir !

Ce n’est que vers les dix heures de l’avant-midi qu’Ondine s’éveilla. Elle était couchée dans son lit, où Febro l’avait portée. Dans la cuisine, elle entendait la servante aller et venir.

— Febro ! appela-t-elle.

Mlle Ondine ! s’écria Febro. Enfin, vous voilà réveillée ! Quelle nuit épouvantable j’ai passée, avec vous, endormie, et la petite Monique si malade !

— Mes enfants ! cria Ondine. Je les ai donc entrées, avant d’avoir pris ces… remèdes, qui ont eu pour effet de m’endormir ?

— Hélas ! non, Mlle Ondine. Vous aviez oublié les enfants dehors.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! sanglota Ondine.

— La petite Marcelle ne s’en porte pas plus mal ; mais petite Monique… je crains bien qu’elle en meure.

— Non ! Non ! cria Ondine.

Se levant d’un bond, elle s’approcha du berceau : Marcelle dormait à poings fermés, mais Monique… la jeune mère vit bien qu’elle allait mourir. Désespérée, elle se jeta à genoux auprès de ses enfants, demandant au ciel de ne pas la punir ainsi.

— Je vous en prie, Mlle Ondine, dit Febro, ne vous désolez pas ainsi ! Tenez, voici une lettre pour vous ; elle vient de votre mari, je crois. Lisez-la, pendant que je vais préparer le déjeuner.

De la lettre de son mari, Ondine ne retint qu’une chose : il allait venir la chercher. Peut-être arriverait-il le même jour que sa lettre. Ondine devait se tenir prête à repartir avec lui immédiatement. Cette lettre contenait un post-scriptum :

« Imagine-toi, ma chérie, écrivait Henri Fauvet, que j’ai rêvé la chose la plus étrange, la nuit dernière ! J’ai rêvé que nous étions tous deux, toi et moi, dans la salle de la maison de Febro, et que tu tenais dans tes bras deux enfants, deux jumeaux. Des enfants beaux comme des anges et se ressemblant extraordinairement. Et tandis que nous causions ensemble, l’un de ces anges déploya de mignonnes ailes et s’envola, disparaissant bientôt à nos yeux ».

— Febro, dit Ondine, mon mari va arriver aujourd’hui peut-être… et ma petite Monique qui se meurt !

— Hélas ! Mlle Ondine, il faut que vous soyez courageuse… Petite Monique… Voyez !

— Elle est morte ! Elle est morte ! cria Ondine. Et c’est de ma faute, de ma faute ! Monique ! Monique ! Ô mon ange ! Je donnerais pour toi jusqu’à la dernière goutte de mon sang ! Pour te ramener à la vie, que ne ferais-je, mon Dieu, que ne ferais-je !

Elle se tordait les mains dans son désespoir ; elle se fut arrachée les cheveux à poignée, si Febro ne l’en eut empêchée.

— Febro, je vais tout te raconter ; c’est le récit d’un malheur, d’un terrible malheur. Je suis devenue morphinomane, Febro. Hier soir,