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L’OMBRE DU BEFFROI

après ton départ, j’ai pris une forte dose de morphine et… c’est de ma faute si ma Monique est morte… Febro ! Febro ! Mon mari… il ne me pardonnera jamais d’avoir été la cause de la mort de mon enfant ; il va se douter qu’il y a eu négligence de ma part… Il faut que tu me sauves, Febro, bonne Febro !

— Mais… je ne sais pas ce que vous voulez, chère Mlle  Ondine… Vous avez eu des jumelles ; l’une d’elle est morte, malheureusement. Votre mari ne peut pas vous blâmer pour cela. Il ne saura jamais ce qui a causé la mort de votre petite et…

— Il s’en doutera… et jamais il ne me pardonnera !… Il peut arriver d’un moment à l’autre… Febro, il ne faut pas que Henri sache que j’ai mis au monde des jumelles… Monique, la pauvre chérie, il faut la cacher, et cacher aussi toute trace de son trop court séjour parmi nous. Vite, Febro ! Vite ! Porte le pauvre petit cadavre dans ta chambre, en haut, ferme la porte à clef ; pendant ce temps, je mettrai tout à l’ordre dans cette salle. Va, Febro, va !

— Comment, Mlle  Ondine, vous voulez que je fasse cette chose horrible : cacher à votre mari la naissance et la mort de votre enfant ! … Impossible ! Ce serait commettre une sorte de crime !

— Ô Febro, ne refuse pas de te rendre à ma demande ! Tout mon avenir dépend de ta décision. Mon mari ne me pardonnerait jamais, et je serais malheureuse pour le reste de ma vie.

— C’est impossible ! répéta la servante.

— Fais ce que je te demande, bonne, bonne Febro ! Personne au monde ne s’en doutera, car il n’y a que toi et moi qui savons que j’ai mis au monde des jumelles… Tu t’en souviens, nous n’avons pu avoir de médecin et…

— Pourquoi insister, chère Mlle  Ondine ? Jamais je ne consentirai…

— Personne ne vient jamais ici, reprit Ondine, et nul ne sait… Henri croira que je n’ai eu qu’une enfant : Marcelle… Si tu refuses ce que je te demande, Febro, j’en mourrai !

— C’est contre ma conscience tout à fait ce que vous me demandez de faire, Mlle  Ondine ! Il vaudrait mieux dire à votre mari que l’enfant est morte, disons, d’une congestion des poumons.

— Je t’affirme qu’il ne le croira pas ! Il me rendra responsable de la mort de Monique !… Febro ! Je t’en supplie, Febro !

— Il faut que je vous aime pour faire ce que vous me demandez, Mlle  Ondine ! répondit Febro. Je le ferai ! Cependant, voyez à ce que votre mari se décide de partir d’ici presqu’aussitôt qu’il arrivera. Vous comprenez ; avec un tel… secret dans la maison… La nuit prochaine, j’enterrerai la petite sous le saule pleureur, où vous aimiez tant à vous asseoir, je sèmerai des muguets (vos fleurs préférées) sur sa tombe… Et, que Dieu me pardonne si je fais mal !

Ce disant, Febro monta au second étage, portant dans ses bras le cadavre de la petite Monique. Arrivée dans sa chambre, elle déposa l’enfant sur son lit, puis elle sortit, fermant la porte après elle et emportant la clef.

Quand elle redescendit dans la salle, elle vit qu’Ondine avait fait disparaître toutes traces qui pouvaient trahir la présence d’une autre enfant que Marcelle dans la maison. Et pas un instant trop tôt, car, sur le chemin, on entendait le bruit d’une voiture, et bientôt, cette voiture s’arrêta devant la maison de Febro, et un homme en descendit.

— Henri ! C’est Henri ! cria Ondine. Mon Dieu, ajouta-t-elle tout bas, permettez que rien ne trahisse notre lugubre secret !

— Henri !

— Ondine !

Quel bonheur de se retrouver, après une si longue séparation !

— Vois, Henri ! fit Ondine, en conduisant son mari auprès du berceau dans lequel dormait Marcelle. C’est une petite fille.

— Oh ! Le beau petit ange ! s’écria Henri, en couvrant l’enfant de caresses et de baisers. Elle te ressemble. Ondine, ma chérie… Tiens, bonjour, Febro ! Comment vous portez-vous ?

— Je me porte bien, je vous remercie, M. Fauvet, répondit Febro, d’une voix qui tremblait légèrement. N’est-ce pas qu’elle est belle votre petite Marcelle ?

— Marcelle ?… C’est ainsi que tu as nommée notre petite, Ondine ?

— Oui. Henri. Aimes-tu ce nom ?

— Beaucoup, oui, beaucoup… répondit-il. Vous me demandez si je la trouve belle notre petite Marcelle, Febro ? Certes ! Elle ressemble à Ondine ; n’est-ce pas tout dire ?

— Ma Marcelle ! fit Ondine.

Soudain. Henri se tourna du côté de sa femme et, souriant, il demanda :

Et l’autre ?


CHAPITRE VI

UN TERRIBLE SECRET


— Et l’autre ?

Cette question, à laquelle ni Ondine ni Febro ne s’étaient certes attendues, produisit chez les deux femmes un grand effet. Ondine devint pâle comme la mort et Febro laissa choir par terre la clef de la porte de sa chambre à coucher, qu’elle tenait encore à la main.

— Ma pauvre Ondine, dit Henri, qu’as-tu ? Tu es pâle comme une morte ! J’ai voulu rire seulement, tu le sais bien… Ne te souviens-tu pas du rêve que j’ai fait, l’autre nuit ? J’y faisais allusion, voilà tout.

— Henri ! cria Ondine, puis elle s’évanouit.

— Febro ! appela Henri Fauvet. — Voyez donc : Ondine a perdu connaissance !

En un clin d’œil, Febro fut auprès d’Ondine, lui épongeant le front avec de l’eau froide. La servante était aussi pâle que la jeune femme : si, en revenant de son évanouissement, Ondine allait dire quelque chose qui dévoilerait leur terrible secret !

— M. Fauvet, dit-elle, auriez-vous la bonté de m’apporter la bouteille de cognac, qui est sur la deuxième tablette de l’armoire de la cuisine ?

Et pendant que Henri cherchait la bouteille de cognac, qui, entre parenthèse, était dans le buffet de la salle, ce que Febro savait fort bien d’ailleurs, Ondine revint à elle.

— Monique ! murmura-t-elle, en ouvrant les yeux. Est-ce vrai qu’elle est morte ma petite fille jumelle, Febro ?

Mlle  Ondine ! Pour l’amour de Dieu, taisez-vous ! Votre mari… Prenez garde ! Le voilà !.

— Je n’ai pas trouvé le cognac, Febro, dit