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L’OMBRE DU BEFFROI

pour livrer passage à Gaétan de Bienencour, suivi d’un jeune homme d’assez petite taille, aux yeux bleus et très rieurs, aux cheveux blonds légèrement ondulés, à la fine moustache dorée. C’est Gaston Archer, l’ami de cœur de Gaétan.

Aussitôt qu’il eut mis le pied dans le salon, Gaétan jeta un coup d’œil vers l’extrémité de la pièce où se tenait Marcelle et, immédiatement, il la reconnut. Oui, c’était bien elle ! Ses cheveux relevés la vieillissaient un peu et sa riche toilette de débutante ne ressemblait guère à la simple robe de l’été dernier ; mais il l’eut reconnue entre mille. Y en avait-il une autre au monde qui possédait ces yeux de la nuance des violettes, ce teint de lys et de roses, ces admirables fossettes, cette bouche mignonne, ces dents de perles ? Qu’elle était belle, belle ! Il n’était pas surprenant de la voir entourée d’admirateurs !

Marcelle allait-elle le reconnaître ?… C’était presque certain. Elle ignorait le nom de celui qui lui avait sauvé la vie, bien sûr ; quelle surprise pour elle, d’apprendre qu’il était le neveu de sa marraine ! Et voilà que Gaétan remarqua, tout à coup, que Marcelle portait à la main un énorme bouquet de muguets ; sa robe et sa chevelure étaient aussi décorées de ces fleurs. Ces muguets lui rappelaient tant de souvenirs à ce jeune homme épris ! Il se revit, auprès du Tunnel du Requiem, il revit une jeune fille évanouie, portant dans ses cheveux et à son corsage des « lys de la vallée ».

— Eh ! bien, Gaétan, te voilà enfin ! dit, à ce moment, Mme de Bienencour. Comment va, M. Gaston ? Venez, tous deux, que je vous fasse faire des connaisances. Tu sais, mon neveu, reprit-elle, entre haut et bas, ça n’a pas été une sinécure pour moi, que de te faire garder la première danse avec Marcelle !

— Elle est bien belle votre filleule, tante Paule ! 6’écria Gaétan.

— Belle ! Oui, tu l’as dit !… Mais, comment as-tu pu la reconnaître, puisque tu ne l’as jamais vue ?

— J’ai vu son portrait ; vous vous en rappelez ?

— Ah ! oui, bien sûr ! Eh ! bien, je te dirai, mon cher, que Marcelle est aussi charmante que belle.

— Je n’en doute pas, tante Paule ! répondit Gaétan.

Tout en parlant, Mme de Bienencour, suivie de Gaétan et de Gaston, s’approchait du groupe formé par Marcelle et ses amis.

— Marcelle, dit-elle, en s’adressant à la jeune fille, je te présente mon neveu Gaétan. Puis, se tournant vers son neveu, elle ajouta ; Gaétan, Mademoiselle Fauvet.

Les deux jeunes gens se saluèrent en souriant ; mais Gaétan remarqua que Marcelle avait l’air de ne pas le reconnaître, et soudain, il se dit qu’il comprenait pourquoi ; lors de leur rencontre auprès du Tunnel du Requiem, il portait toute sa barbe, et aussi le rude costume des montagnards. Sa barbe coupée et son habit de cérémonie devaient le changer presque totalement, et voilà pourquoi elle ne le reconnaissait pas. Il est vrai qu’il avait reconnu, lui, immédiatement, celle qu’il avait sauvée d’une mort affreuse, l’été précédent ; mais il avait pensé à elle presque continuellement depuis, tandis que Marcelle…

Ce fut, tout de même, une grande déception pour Gaétan, de n’être pas reconnu. Non qu’il eut voulu que Marcelle lui renouvelât ses remerciements pour le service rendu ; mais, si elle l’eut reconnu, cela aurait établi comme un lien entr’eux… Eh ! bien, il attendrait… Plus tard, quand ils deviendraient plus intimes, ils causeraient ensemble, du passé, si peu éloigné.

— M. Fauvet, je vous présente mon neveu Gaétan ; Gaétan, M. Fauvet.

Henri Fauvet tendit franchement la main au jeune homme.

— Il y a longtemps que je vous connais de réputation, M. de Bienencour, dit-il, en souriant.

— Et moi, M. Fauvet, je vous connais aussi, répondit Gaétan. Tante Paule m’a si souvent parlé de vous… et de sa filleule.

— Ah ! oui… Marcelle… La chère petite !… Pour moi, voyez-vous, M. de Bienencour, Marcelle est et sera longtemps encore une enfant. Que voulez-vous ; elle est mon seul trésor, ici-bas !

Quand Mme de Bienencour eut présenté son neveu à Dolorès, elle présenta Gaston Archer à tous.

Henri Fauvet dit être parfaitement heureux de renouveler connaissance avec Gaétan, qui était le fils de son meilleur ami. On se souvient que Henri Fauvet, Émile Archer, le père de Gaston, et Dolor Lecoupret, le père de Dolorès, formaient, jadis, un trio d’amis. Par la force des circonstances Henri Fauvet n’avait pas revu Gaston depuis que celui-ci n’était âgé que de quinze ans.

Quand l’orchestre joua une valse entraînante, Gaétan sollicita de Marcelle l’honneur d’ouvrir le bal avec elle, tandis que Gaston obtenait la même faveur de Dolorès. Yolande et Jeannine Brummet, que les deux jeunes gens connaissaient et estimaient grandement, dansèrent cette première danse, Yolande, avec Réal du Tremblaye, un jeune avocat de la ville (on prétendait que les deux jeunes gens étaient fiancés), et Jeannine, avec Léon Martinel, jeune marchand à l’aise, de la ville aussi.

Bientôt, le bal battait son plein. Il y eut bien quelques commères qui remarquèrent que Marcelle et Gaétan, Dolorès et Gaston, Yolande et Réal, Jeannine et Léon dansaient ensemble, un peu plus souvent que ne le permettaient les convenances ; mais ceux qui étaient l’objet de ces commérages ne s’en occupaient guère.

Quand arriva l’heure du souper, on vit les jeunes gens ci-haut mentionnés, se placer, ensemble, à une petite table, à part, et à en juger par leur babil constant et leurs joyeux éclats de rire, ils s’amusaient beaucoup et franchement.

— C’est un honneur, pour nous, de souper à la même table que la Reine du bal ! dit, soudain, la rieuse Yolande.

Les regards de tous se portèrent sur Marcelle, qui était loin de se douter, certes, que c’était à elle que Yolande faisait allusion.

— La Reine du bal ? demanda Marcelle. Qui est-ce donc ?

— Toi, ma chère ! répondit Dolorès, et tous de rire. Nous, nous ne sommes que tes humbles sujets, ajouta-t-elle.

— Mais la Reine va abandonner ses sujets, fit Jeannine, et c’est malheureux. Dis donc, Marcelle, ajouta-t-elle, est-ce que vraiment vous