Page:Lacerte - L'ombre du beffroi, 1925.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
L’OMBRE DU BEFFROI

Mais, j’y songe : M. Le Briel sera le seul, parmi vos invités, qui n’aura pas de compagne… Il y a Marcelle et Gaétan, Dolorès et Gaston, Yolande et Réal, Jeannine et Léon, Olga et Karl, Wanda et Fred…

— Il y a aussi Mlle Claudier, qui n’a pas de compagnon, dit Henri Fauvet en souriant.

— Iris ! fit Mme de Bienencour. Mais, Iris est fiancée, mon ami.

— Fiancée !

Ce fut un cri du cœur. Henri Fauvet la trouvait si laide, si laide, cette pauvre fille, et aussi si déplaisante, qu’il ne comprenait pas que quelqu’un put l’aimer, au point de désirer en faire sa femme.

— Oui, fiancée… à quelqu’un que vous connaissez bien même… Devinez !

— Je ne suis pas bon devin, je vous l’assure…

— Le fiancé d’Iris c’est le Docteur Nippon.

— Le Docteur Nippon !… Tiens, il va donc se décider d’abandonner le célibat enfin ?

Le Docteur Nippon… Que de souvenirs ce nom évoquait chez Henri Fauvet… La maladie d’Ondine… sa folie… puis sa mort… dont peu de personnes au monde connaissaient la cause…

Pendant que Henri Fauvet et Mme de Bienencour causaient ensemble, Marcelle et Gaétan se promenaient en chaloupe sur la Rivière des Songes.

Mlle Marcelle, disait Gaétan, vous ne sauriez vous imaginer le plaisir que m’a causé l’invitation de M. Fauvet ! Puis-je espérer qu’il ne vous déplait pas de me revoir ?

— Je suis très heureuse de vous revoir, M. de Bienencour ! répondit-elle.

— Si vous saviez, reprit Gaétan, combien il me tardait de venir au Beffroi, vivre, pour ainsi dire, de votre vie… Dites, Mlle Marcelle, avez-vous pensé à moi quelquefois ? Dites, oh ! dites !

— Oui, quelquefois… souvent même, répondit la jeune fille en rougissant légèrement. Dolorès et moi nous parlions de vous et de M. Archer…

— Chère chère Mlle Marcelle !… Je me demande si votre souvenir m’a quitté un seul instant, depuis que je vous ai dit adieu à la gare de Québec l’hiver dernier. Ma chérie, reprit-il, vous l’avez deviné, n’est-ce pas, que je vous aime ?… Pourriez-vous m’aimer en retour, ma bien-aimée ?

— Peut-être… murmura-t-elle, avec un sourire timide.

— Cher ange ! s’écria le jeune homme. Belle et radieuse Étoile du Nord ! Et vous serez ma femme ?… Bientôt ?…

— Bientôt ? fit Marcelle. Oh ! non ! Comment pourrais-je me résoudre de quitter mon père ?… Il n’a que moi au monde, vous savez, M. de Bienencour.

— Je me nomme Gaétan, Marcelle, dit-il.

— Gaétan… murmura la jeune fille.

— Épousez-moi, Marcelle ! Vous ne quitterez pas votre père. Nous passerons la majeure partie de l’année au Beffroi, si vous le désirez… Nous ne pourrons pas abandonner tout à fait tante Paule, vous le comprenez, et quelques mois aux Terrasses

— Votre tante n’est pas seule, aux Terrasses ; il y a Mlle Claudier…

Mlle Claudier se marie ; elle épouse, à l’automne, le Docteur Nippon.

— Le Docteur Nippon !… Je le connais bien ce médecin. Il soignait ma mère et il m’apportait du chocolat, quand j’étais petite.

Aussitôt que Marcelle eut prononcé le nom de sa mère, une ombre passa sur le visage de Gaétan. Quoiqu’il eut voulu s’en défendre, la lettre anonyme qu’il avait reçue lui revint à la mémoire… Mme Fauvet, la morphinomane… et Marcelle, qui avait, disait-on, hérité de ce vice… Mais non ! C’était impossible ! Cette pure et innocente jeune fille adonnée à l’abus de la morphine !… Ce serait ridicule de le croire…

— Vous vous souvenez bien de votre mère, Mlle Marcelle ? demanda-t-il, tout à coup.

— Si je me souviens d’elle !… Certes ! J’avais quatorze ans quand elle est morte… Pauvre maman !… Elle a été malade pendant des années… Je me souviens qu’elle ne m’appelait jamais par mon nom et…

— Elle ne vous appelait pas par votre nom, dites-vous ?… Comment cela, Marcelle ?

— Elle ne m’appelait jamais autrement que « Monique »… N’était-ce pas singulier ?… J’avais fini par m’y habituer cependant.

— C’est fort singulier, en effet, murmura Gaétan.

Mais, ne voulant pas trop insister sur ce sujet, pour le moment, il se mit à faire des projets d’avenir, avec celle qu’il adorait.

— Dolorès, disait Gaston Archer, assis aux pieds de la fille adoptive de Henri Fauvet, j’étais fou de joie quand m’est parvenue l’invitation de venir passer quelques jours au Beffroi. Il est vrai que j’allais me diriger vers ce district quand même, cet été, car, depuis que vous avez quitté la ville de Québec pour venir demeurer ici, j’aurais pu dire comme Mlle Fauvet : « Mon cœur est dans le nord » !… Vous vous plaisez bien au Beffroi, Dolorès ?

— Certes, oui, je m’y plais, Gaston !

— Vous n’avez jamais passé l’hiver, en ces régions, n’est-ce pas ?

— Non, et, je l’avoue, cela m’effraie un peu d’y penser seulement… Je ne suis pas comme Marcelle, voyez-vous ; l’agreste nature ne me suffirait pas… à l’année.

— Pourquoi passeriez-vous l’hiver, l’automne même, ici, ma chérie ? fit Gaston. Au Vieux-Manoir, un père et une mère vous attendent… Devenez ma femme, Dolorès ! Que ce soit, disons, en octobre, le plus tard !…

— Je ne… sais pas… balbutia-t-elle.

— Me permettez-vous de parler à M. Fauvet, ma bien-aimée ?

— Oui.

— Dolorès ! Ma chère fiancée ! s’écria le jeune homme ravi.

Le lendemain, le bruit courut, au Beffroi, que Dolorès et Gaston étaient fiancés et qu’ils se marieraient à l’automne. En apprenant cette nouvelle, Mme de Bienencour murmura à l’oreille de Henri Fauvet, en désignant Marcelle et Gaétan, qui causaient ensemble, dans l’embrasure d’une fenêtre :

— À quand leur tour ?

Et Iris Claudier, qui entendit sa vieille parente, fut envahie par la jalousie et la colère.

— Jamais ! se dit-elle. Jamais ces deux-là ne deviendront fiancés… si ça dépend de moi !

Henri Fauvet proposa qu’on donnât un banquet en règle, pour célébrer les fiançailles de Dolorès et Gaston ; mais on attendrait, pour cela, que Raymond Le Briel fut arrivé.