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L’OMBRE DU BEFFROI

jeune fille. Est-ce que vraiment vous ne pourriez essayer de…

— Oui, je puis toujours essayer, fit-elle. Au revoir, Gaétan, ajouta t-elle, en souriant, puis elle partit, au bras de Raymond Le Briel.

Quand le rideau se leva sur le premier tableau. représentant Marguerite, descendant les marches de l’église, et Faust, l’observant, de loin, plus d’un put lire une réelle admiration dans les yeux de Raymond. Pour quelques-uns. cette admiration n’avait pas lieu de surprendre : Gaétan, Dolorès, Olga, Wanda et ses parents savaient bien à quoi s’en tenir sur les sentiments de Raymond envers la fille de Henri Fauvet.

Il y eut plusieurs scènes de l’opéra Faust, fort bien rendues, trop bien rendues, se disait Gaétan, et aussi le Docteur Carrol.

— Quelle actrice que Marcelle, n’est-ce pas, M. Fauvet ? s’exclama Dolorès. Elle et M. Le Briel… On dirait que c’est… réel, et qu’ils s’aiment, comme Marguerite et Faust durent s’aimer. Si c’était Gaétan…

— Mais, oui, ils vont bien ! répondit l’insoupçonneux Henri Fauvet.

— Pourquoi n’avez-vous pas pris le rôle de Faust. M. de Bienencour ? demanda soudain Iris Claudier, qui était parvenue à se glisser derrière les coulisses.

— Jamais je n’aurais pu m’acquitter de ce rôle avec autant de perfection que M. Le Briel, répondit Gaétan, d’un ton sarcastique.

— Peut-être… fit Iris. Les regards chargés d’amour que Mlle Fauvet et M. Le Briel échangent, sur la scène, c’est si… si… réel !… Au point que c’en est presque… scandaleux… Si je ne me trompe pas, c’est vous, M. de Bienencour, qui êtes le fiancé de Mlle Fauvet et non M. Le Briel ? demanda-t-elle, avec un rire méchant.

Gaétan ne répondit pas, mais ses yeux restaient fixés sur Marguerite et Faust qui, à ce moment, entraient, de nouveau, en scène. C’était à l’instant où Faust donne à Marguerite une fiole contenant un anesthésique, que la jeune Allemande doit faire prendre à sa mère, ce soir-là. La scène, par elle même, est très suggestive, et Gaétan, voyant la jeune fille, à demie évanouie dans les bras de Raymond, tandis que celui-ci couvrait ses mains de baisers, sentit ses poings se crisper et une flamme rouge passer devant ses yeux.

— Ah ! bah ! fit la voix d’Iris. C’est, je le répète, scandaleux !

Ayant dit ce qu’elle voulait dire, elle retourna se placer parmi l’auditoire, qui applaudissait sincèrement.

— Mon Dieu ! se disait Gaétan. Je comprend, je crois, comment un homme peut se décider de tuer son semblable, lorsqu’il y est fortement provoqué. Raymond Le Briel contamine le monde, et ce serait rendre un service à l’humanité que de l’en débarrasser !

Son regard, plein de reproches et de réel étonnement, se posait sur Marguerite… Jamais elle n’avait été si belle, si charmante, si attrayante… Et Faust, lui, souriait ; oui, il souriait… d’un air fat, se disait Gaétan. Oh ! ce sourire ! Combien il déplaisait au fiancé de Marcelle !

Il était loin de se douter de la cause de ce sourire sur les lèvres de Raymond Le Briel !… L’entorse qu’il s’était faite au pied gauche, le faisait souffrir horriblement ; il sentait son pied enfler, d’instant en instant, d’une façon inquiétante, et il se disait que sa chaussure allait se fendre, tant elle lui serrait le pied. Il craignait fort de perdre connaissance… Ce sourire donc, si déplaisant à Gaétan de Bienencour, ce n’était qu’une sorte de crispation douloureuse, causée par des élancements presqu’intolérables. Ce pauvre Raymond ! Malgré l’immense bonheur qu’il éprouvait de paraître dans ces tableaux avec celle qu’il adorait, il lui tardait que ce fut fini, afin de pouvoir se déchausser et soigner son pied malade, Il y avait encore un tableau, malheureusement ; cependant, ce serait vite fait ce semblant de duel avec Gaétan, jouant le rôle du frère vengeur de Marguerite.

Le rideau se leva sur la scène du duel. Gaétan et Raymond étaient armés chacun d’une épée. Ce n’étaient pas des épées de première trempe peut-être, mais, tels qu’elles étaient, elles paraissaient fort dangereuses à l’auditoire attentif.

Dans le fond de la scène, Mephisto, (Gaston) les bras croisés sur sa poitrine et ricanant, assistait au duel.

Les épées se croisèrent, les duellistes se mirent en garde. Il y eut des attaques, des feintes, et choses de ce genre, Gaétan, les yeux en flammes, fixait Raymond, qui, le sourire aux lèvres, paraît les coups de son mieux. aux lèvres, parait les coups de son mieux. s’était levé debout, pour mieux voir. Oui. c’était bien cela : Faust, ne craignant pas la mort, parce qu’il était aimé, et souriant, malgré le danger. Le frère de Marguerite, voulant venger la mort de sa mère, le déshonneur de sa sœur, fou de colère et de haine ; comme il entrait dans son rôle ! Oh ne cessait pas de l’applaudir.

Que c’était réel ce duel !… Si réel que, quand l’épée de Gaétan s’enfonça, soudain, dans la poitrine de Raymond et que ce dernier, oscillant sur ses jambes, tomba par terre, un flot de sang rougissant sa chemise, la panique fut plutôt lente à se produire. Mais, tout à coup, un cri s’éleva ;

M. Le Briel ! Ciel ! Il a été blessé !

L’épée s’échappa des doigts de Gaétan de Bienencour et elle tomba sur le plancher, avec un bruit de ferrailles, puis tous se précipitèrent vers l’estrade. Mais Gaston Archer, avec une rare présence d’esprit, venait de baisser le rideau, et seuls, Henri Fauvet et Dolorès purent monter sur la scène.

Avant eux, pourtant, était arrivée Marguerite. Apercevant Faust couché sur le plancher, son sang coulant à flots, elle se jeta à genoux auprès de lui.

— Raymond ! Raymond ! Ô mon Dieu ! Il est mort !

— Marcelle ! s’écria Henri Fauvet, essayant de relever sa fille.

— Il est mort, vous dis-je, et c’est lui qui l’a tué ! cria-t-elle, en désignant Gaétan, qui, le visage tout décomposé, restait appuyé à une colonne, sans proférer un mot.

— Raymond ! Ô mon Raymond ! cria, encore une fois la jeune fille, puis elle tomba sur le plancher, évanouie.

Henri Fauvet, les lèvres blanches, le geste nerveux, saisit sa fille dans ses bras et l’emporta à l’étage supérieur. Dolorès, qui l’avait suivi, lui dit :

— Déposez Marcelle sur mon lit, M. Fauvet ;