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L’OMBRE DU BEFFROI

auraient fait aussi bien l’affaire… et c’eut été moins dangereux. En ce pays-ci, peu savent manier les armes. Je me reprocherai toujours ma rare et coupable imprudence.

Gaétan de Bienencour regardait Henri Fauvet avec des yeux étonnés… Comment ! On ne le croyait coupable que de maladresse !… Mais non ! Marcelle l’avait accusé hautement, tout à l’heure ; elle avait dit, en le désignant : « Raymond est mort, et c’est lui qui l’a tué ! » Il verrait toujours son geste accusateur, toujours ! Ce serait inutile d’essayer de la tromper, elle ; elle savait à quoi s’en tenir et, sans doute, jamais elle ne lui pardonnerait… Gaston, lui aussi, savait que ce coup d’épée n’avait pas été une maladresse de la part de son ami et, lui-même, Gaétan, il ne cessait de répéter tout bas : « Je suis un assassin ; un assassin ! J’ai tué mon semblable » !

Mais on parlait, près de lui :

— Non, M. Le Briel n’était pas mort, quand nous avons quitté le salon, disait Henri Fauvet ; il respirait encore. Le Docteur Carrol avait l’air très grave, il est vrai ; mais, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Donc, espérons pour le mieux !

— Vous dites que M. Le Briel n’est pas mort ! s’exclama Gaétan.

— Il respirait encore, il y a dix minutes à peu près, et quoique le pouls fut très faible… Si vous voulez m’excuser, je vais aller aux nouvelles, et je reviendrai vous en faire part, le plus tôt possible.

— Dolorès, demanda Henri Fauvet, comment est Marcelle, la pauvre enfant ?

— Je l’ai laissée aux soins de Rose, répondit Dolorès. Marcelle m’a demandé de lui apporter des nouvelles le plus tôt possible.

À ce moment entra le Docteur Carrol, et vite il fut entouré et questionné par tous.

— Je n’ai que de bonnes nouvelles à vous donner sur le compte de M. Le Briel, mes amis, leur dit-il. La blessure est sans gravité ; la pointe de l’épée ayant pénétré, et pas très avant, entre deux côtes, à plus d’un bon pouce du cœur.

— Le ciel en soit béni ! s’écria Mme  de Bienencour.

Il y eut des exclamations de joie et des soupirs de soulagement, de la part de tous.

— La raison pour laquelle M. Le Briel a perdu connaissance est plutôt rassurante, reprit le médecin ; l’entorse qu’il s’est faite au pied gauche a pris de formidables proportions. Nous avons dû, Karl et moi, couper son soulier par lanières, avant de pouvoir le lui enlever.

— Pauvre M. Le Briel ! fit Olga.

— M. Fauvet, ajouta le Docteur Carrol, M. Le Briel demande que vous rassuriez M. de Bienencour, sans retard, et que vous lui disiez qu’il n’a pas songé, un seul instant, à le blâmer pour l’accident qui vient d’arriver.

— Je ferai son message fidèlement ! répondit Henri Fauvet.

— Personne ne sera admis auprès de mon malade, pour le moment, Mesdames et Messieurs, termina le médecin ; seulement, M. Fauvet, M. Le Briel demande aussi à parler instamment à M. de Bienencour.

— Bien, Docteur, répondit Henri Fauvet ; je vais m’acquitter de ces commissions, sans retard. Quel soulagement pour M. de Bienencour, qui se désole, en ce moment !

Dolorès, ayant vu passer Henri Fauvet, dans le corridor, accompagné de Gaétan de Bienencour, tous deux se dirigeant vers le salon, résolut de monter immédiatement au second étage, afin de rassurer, le plus vite possible, celle qui attendait des nouvelles avec tant d’impatience et d’anxiété.

— Marcelle, dit-elle, aussitôt après s’être assurée que la jeune fille paraissait plus calme, j’ai de bonnes nouvelles à te donner : M. Le Briel a repris connaissance et sa blessure est sans gravité. Le Docteur Carrol dit que, avec de bons soins et de la tranquillité, le blessé serait sur pied, en moins de huit jours, si ce n’était de son entorse.

— Ce sont de bonnes nouvelles, en effet, Dolorès !

— M. Le Briel a le pied très enflé ; même, le médecin affirme que c’est à cause de cette entorse qu’il a perdu connaissance, tout à l’heure.

— Ainsi ?…

— Ainsi, il n’y a rien à craindre, quant à la vie de M. Le Briel. La blessure a beaucoup saigné ; mais le docteur dit que ça n’est pas un mal.

— Et… Gaétan ?…

— Gaétan se désole… et s’accuse de maladresse…

— Ah ! fit la jeune fille.

— Lorsque j’ai quitté la bibliothèque, Messieurs Fauvet et de Bienencour se dirigeaient vers le salon, Gaétan ayant été mandé par M. Le Briel. Donc, tout va pour le mieux, Marcelle, comme tu le vois !

— Merci, Dolorès, d’avoir été si prompte à m’apporter des nouvelles !… Je crois que je vais me retirer dans ma chambre maintenant ; je suis épuisée… de toutes manières.

— Venez, alors, Mlle  Marcelle ! dit Rose. Je vais vous aider à vous mettre au lit.

— Je préfère être seule, Rose, répondit la jeune fille. Merci, tout de même… Et, Dolorès, je vais dormir ; vois donc à ce que personne ne me dérange, et dis à père de n’être pas inquiet à mon sujet.

— C’est bien. Marcelle ! Bonne nuit, ma chérie ! répondit Dolorès.

— Décidément, elle voulait n’être dérangée par qui que ce fut, car, ayant quitté la chambre de Dolorès, elle s’enferma dans la sienne, et aussitôt on put entendre le grincement d’une clef dans la serrure de la porte.

Rose avait soupiré, en voyant s’éloigner la jeune fille. Combien elle aurait voulu veiller sur elle jusqu’au matin, écartant tout… danger !…

Car, nous le répétons, la fidèle servante soupçonnait bien des choses, et ces soupçons la rendait infiniment malheureuse.


CHAPITRE XII

ENTENDU PRÈS DU BOCAGE


Il était neuf heures, le lendemain matin, quand Marcelle s’éveilla, et elle était à se demander si elle allait se lever, quand quelqu’un frappa à sa porte de chambre.

— Entrez ! dit-elle.

Mais la porte était fermée à clef, évidemment, quoique Marcelle ne se souvint pas d’avoir pris tant de précautions, la veille au soir.