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L’OMBRE DU BEFFROI

que je suis votre fille, la sœur jumelle de Marcelle.

— Je n’ai pas besoin de nouvelle preuves, ma fille, dit Henri Fauvet, en pressant Monique sur son cœur ; cependant, je lirai bien cette lettre tout haut, puisque tu le désires.

On se souvient de cette lettre qu’Ondine avait écrite à sa servante, la suppliant, si elle écrivait, de ne faire aucune allusion au passé. Mme Fauvet disait être quelque peu consolée du décès de sa petite jumelle. Elle parlait de Marcelle, si belle, et qui devait être, un jour, une riche héritière ; elle demandait à Febro de continuer à lui être fidèle et de ne pas risquer de ruiner sa vie (à elle Ondine) en écrivant des choses qui, en fin de compte, étaient passées et… irréparables.

Après la réception de cette missive, Febro résolut de se taire. Elle et son mari élèveraient Monique de leur mieux ; elle serait leur fille. Inutile de dire qu’ils aimaient l’enfant comme si elle leur eut appartenu réellement.

— Quels braves gens ! s’exclama Henri Fauvet.

Monique, lorsqu’elle eut atteint l’âge requis, fut envoyée à un collège, à Toronto, où elle reçut une bonne et solide instruction. Elle venait d’atteindre ses douze ans, quand Febro mourut. Avant de mourir, la fidèle servante écrivit une confession du passé, qu’elle signa de son nom.

Après la mort de Febro, son mari s’en alla dans le nord et Monique retourna au collège, pendant trois ans encore. Puis, Cyril Florentin, se sachant atteint d’une maladie incurable, sa fille adoptive résolut de rester auprès de lui et de le soigner.

Cyril Florentin, pressentant sa fin prochaine. désira mourir dans la maison de Febro et être enterré à côté de sa femme. On revint donc dans le district de Nipissingue.

Quel fut leur étonnement, à tous deux, d’apprendre, en arrivant dans le district de Nipissingue, que l’ancienne abbaye avait été achetée par Henri Fauvet, et qu’il venait de s’y installer à demeure, avec sa fille Marcelle !

Cyril Florentin ne vécut que trois mois encore. Lui aussi, avant de mourir, écrivit une longue lettre, à l’adresse de Henri Fauvet, lettre que Monique remit à ce dernier.

Après la mort de son père adoptif, Monique continua à habiter la maison de Febro, seule, sous la protection de son chien de garde Iso. L’hiver se passa, puis l’été revint, ensuite, le feu de forêt détruisit sa demeure.

— Alors, j’allai me réfugier à la Cité du Silence, père, acheva Monique.

— À la Cité du Silence ! s’écria Raymond Le Briel. Alors, c’est vous que j’ai vue, Mlle Fauvet, lorsque nous sommes allés explorer cette cité, Mlle Marcelle, les demoiselles Carrol, M. Fauvet, le Docteur Karl et moi !… Vous vous souvenez, M. Fauvet ?… J’ai dit que j’avais aperçu là un être humain.

— Oui, je m’en souviens, répondit Henri Fauvet. Je me souviens aussi que Marcelle et moi, nous nous étions dits que quelque chose semblait nous retenir en face de la silencieuse cité ; n’est-ce pas, Marcelle ?

— Oui, père ! fit Marcelle. Cette impression s’explique maintenant : votre fille, ma sœur jumelle, habitait là.

— Mais, ma pauvre enfant, dit Henri Fauvet, en s’adressant à Monique, pourquoi n’être pas venue tout droit au Beffroi, après le décès de Cyril Florentin… que dis-je ?… immédiatement en arrivant en ces régions ?

— Je ne sais pas vraiment… Je… J’attendais une occasion favorable, pour me faire connaître… Et puis, je vous voyais, presque chaque jour, vous et Marcelle…

— Vraiment ! demanda Henri Fauvet.

— Oui, père… Je connais cette ancienne abbaye, où je venais jouer, souvent, lorsque j’étais toute petite… J’en connais tous les secrets… Avez-vous remarqué l’épaisseur des murs du Beffroi ?

— Certes, oui ! Et cela m’a souvent étonné, je l’avoue.

— Ces murs ne sont pas pleins ; voilà. Ils recèlent des couloirs, des corridors et des escaliers en spirale, que je suis seule peut-être à connaître… J’ai pu pénétrer au Beffroi, père, chaque jour, et vivre de votre vie, pour ainsi dire, sans que vous vous en doutiez… Cependant, j’allais me faire connaître, quand la maison se remplit d’étrangers ; alors, je résolus d’attendre encore… Ensuite…

— Mais, interrompit Henri Fauvet, où, comment et de quoi as-tu vécu pendant tout ce temps, ma fille ?

— Oh ! répondit Monique en souriant, je n’étais nullement en peine… D’abord, j’avais trois résidences ; le Beffroi, puis deux confortables grottes ; l’une d’elles à la Cité du Silence et l’autre, tout près de l’Arche Enchantée…

— Et l’hiver ?…

— L’hiver ?… Eh ! bien, l’hiver, j’ai vécu au Beffroi ; voilà !

— Au Beffroi ! s’écria Henri Fauvet. Pourtant, Monique, ces couloirs dont tu nous parlais tout à l’heure, doivent être froids… froids comme… comme des tombeaux !

— Bien sûr, père ! Mais ces couloirs ne me servaient que de… cachette, durant la froide saison, car je savais bien profiter de la température si bienfaisante et si égale du Beffroi, en habitant l’une des cellules, en haut. Rien de plus simple, comme vous le voyez !

— Et, de quoi viviez-vous, Monique ? demanda Dolorès.

La jeune fille sourit.

— Chère Dolorès, répondit-elle, cette pauvre Mme Emmanuel, si elle eut voulu parler, aurait pu vous raconter d’étranges choses… Elle aurait pu vous dire que, souvente fois, des petits pains, de la viande froide, des morceaux de tarte et de gâteau avaient disparu mystérieusement de la dépense… Voyez-vous, ajouta Monique en s’adressant à tous, rien n’était plus facile pour moi que de descendre à la dépense, la nuit, afin de m’approvisionner ; ce dont je ne me faisais aucun scrupule, puisque ces provisions appartenaient à mon père.

— Cependant, Monique, dit Henri Fauvet, pourquoi ne pas t’être fait connaître ?… Pourquoi ce mystère ?… Assurément, tu ne pouvais douter de la réception que t’aurait faite ton père et ta sœur ?

— Certes non, père, je n’en pouvais douter ! s’exclama Monique. Et combien il me tardait de me faire connaître enfin !… La raison de ma conduite assez singulière, la voici ; je me suis aperçue que j’avais une mission à remplir, tout en restant invisible : une mission sacrée…