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L’OMBRE DU BEFFROI

— Une mission ?… Je ne comprends pas, ma chérie, fit Henri Fauvet.

— Une mission sacrée, je le répète, dit Monique : celle de veiller sur Marcelle, ma sœur jumelle.


CHAPITRE X

EXPLICATIONS


— Veiller sur Marcelle !

Ce fut un cri général.

— Je le comprends, cela vous étonne grandement, dit Monique ; je vais donc vous expliquer tout… Auparavant, je tiens à vous dire, M. de Bienencour, que c’est à moi que vous avez sauvé la vie, certain jour de l’été dernier, dans le Tunnel du Requiem, et non à Marcelle.

— Ah ! s’exclama Gaétan. Alors, bien des choses qui me paraissaient inexplicables….

— Le Tunnel du Requiem !… murmura Marcelle.

— M. de Bienencour, je vous ai reconnu tout de suite, lorsque je vous ai aperçu, sur la terrasse, le lendemain de votre arrivée au Beffroi. Vous n’aviez plus votre barbe, vous étiez vêtu autrement ; tout de même, je n’ai pas hésité, un seul instant à vous reconnaître… C’est que, voyez-vous, on n’oublie jamais qui nous a sauvé la vie.

— Mais, fit Gaétan, ne m’avez-vous pas dit, Mlle Dolorès, que Marcelle avait été effrayée de quelque chose, au Tunnel du Requiem, un jour de l’été dernier ?

— Dolorès a dû vous le dire, en effet, répondit Marcelle. Un jour, que je m’étais aventurée jusqu’au tunnel, j’avais vu un cheval, tué par le train, dans le Tunnel du Requiem. Il a été tué sous mes yeux ! dit-elle, en frissonnant. La pauvre bête, affolée, avait tant essayé de… Mais, je préfère ne pas en parler davantage, je…

— Mon Dieu ! Quelle ressemblance existe entre vous deux ! s’écria Gaétan, en s’adressant aux jumelles. Lorsque je vous ai vue, au bal de tante Paule, Mlle Marcelle, j’étais si convaincu que c’était vous que j’avais secourue… Et puis, ce chien, cet énorme collie…

— Ce chien, c’était Iso, mon fidèle protecteur et ami, qui m’avait été donné en cadeau, alors qu’il était tout petit, M. de Bienencour, répondit Monique. Iso ressemble à Mousse, et il n’est pas surprenant que vous et… d’autres s’y soient trompés. Mais, j’ai d’autres explications à vous donner. Père, la nuit où le feu dévasta la forêt, vous vous souvenez ?… vous aviez aperçu un moine, au pied de l’escalier, conduisant au grenier… Ce moine, c’était moi…

— Toi, Monique !

— Oui, moi ! Cette nuit aussi où Marcelle a vu un moine, penché sur elle et la regardant dormir, c’était encore moi. Le moine que Wanda Carrol a entrevu, un soir, dans la sacristie de la chapelle, c’était moi, encore… Certes ! Ce n’était pas mon intention de vous effrayer ; mais les corridors secrets dont je vous ai parlé, tout à l’heure, sont très froids, et comme je suis généralement vêtue légèrement, j’endossais une tunique de moine, trouvée, un jour, dans une des armoires de la sacristie. L’ombre du moine, dans le beffroi, qui avait tant effrayé ma sœur jumelle, certain soir, qu’elle la vit se projeter sur la terrasse, eh ! bien, c’était moi, encore cette fois.

— C’est vous, Monique, qui avez sonné l’alarme, le soir du feu, n’est-ce pas ? demanda Dolorès.

— Oui, Dolorès, c’est moi ! Voyant l’incendie faire de rapides progrès, j’avais quitté hâtivement ma demeure, et accourant vers le Beffroi, je sonnai l’alarme. Il y aurait, je le pressentais, des malheureux à secourir ; je vins ici, vous en avertir.

— Chère enfant ! dit Henri Fauvet. Mais, continue, je te prie ; il y a d’autres mystères à nous expliquer, j’en suis sûr.

— Oui, il y en a… C’est moi, et non Marcelle, que vous avez aperçue, à la Cité du Silence, M. Le Briel, ce soir où votre cheval, affolé par l’orage, a pris le mors aux dents. Vous m’avez appelée, c’est-à-dire que vous avez appelé ma sœur, vous avez appelé Iso, croyant que c’était Mousse… Vous vous en souvenez ?

— Si je m’en souviens ! fit Raymond.

— Et c’est moi qui suis entrée furtivement chez le Docteur Carrol, une nuit, alors que vous étiez retenu chez lui, malade, afin de m’assurer que vous étiez en voie de guérison. J’avais été témoin de l’accident qui vous était arrivé, du moins, j’avais vu votre cheval partir à fond de train, voyez-vous, et comme j’en étais, en quelque sorte, la cause, j’étais très inquiète à votre sujet…

— Je sais maintenant… murmura Raymond, avec un sourire ému.

— Ce n’est pas Marcelle, mais moi qui ai tué l’ours qui vous poursuivait un soir, M. Le Briel…

— Tué… un ours ! s’écria Henri Fauvet.

— Eh ! oui, père ! Je vous raconterai tout, en détails, ce soir ou demain ; je ne fais que citer les faits, en ce moment, et éclaircir certaines choses, qui ont dû vous paraître fort mystérieuses, j’en suis sûre… Je continue donc : M. de Bienencour, un soir, alors que tous dormaient, au Beffroi, vous avez cru voir Marcelle, assise sur un banc, dehors… Vous vous êtes approché pour lui parler…

— C’était donc vous, Mlle Monique ? fit Gaétan.

— C’était moi… Je me suis enfuie, à votre approche, et cela a paru beaucoup vous intriguer, et vous déplaire.

— C’est extraordinaire, extraordinaire ! murmura le Docteur Carrol. Cette ressemblance… Jamais il n’en a existé de pareille, même entre sœurs !

— C’est moi que Marcelle a pris pour une vision, pour l’ombre d’elle-même, rencontrée dans l’escalier conduisant au clocher ; j’étais allée admirer le coucher du soleil et…

— Chère Monique ! fit Marcelle.

— M. Le Briel, reprit Monique, celle que vous avez rencontrée, par hasard, dans le bois, certain après-midi, assise sur un rocher, à confectionner un bouquet de muguets, je pense que vous l’avez deviné déjà, ce n’était pas Marcelle. C’est moi, père, ajouta-t-elle qui ai accepté, ce jour-là, un rendez-vous avec M. Le Briel, pour la nuit suivante, et qui l’ai accompagné à la Cité du Silence… Le Docteur Carrol…

— Mon enfant, dit, d’une voix grave, Henri Fauvet, comment as-tu pu commettre pareille indiscrétion ?… Accepter un rendez-vous… avec un jeune homme… la nuit…