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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/76

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LE BRACELET DE FER

toutes part. Elle fut prise d’une terrible panique.

— Au secours ! cria-t-elle.

Mais, n’était-ce pas tout à fait inutile d’appeler ?… Elle était loin de toute assistance ; d’ailleurs, le bruit que faisaient les vagues en déferlant couvraient sa voix. Que peut la voix humaine, en effet, contre la voix infiniment plus puissante de la nature en furie ?

Nilka voulut virer de bord, croyant ainsi pouvoir retrouver la direction de L’Épave. Alors, il arriva ce qui devait arriver ; sa chaloupe chavira et elle fut précipitée dans le lac…

Le lac St-Jean n’est pas très profond, prétend-on ; cependant, lorsqu’il est agité sous l’impulsion du vent, il est terrible ; il devient un gouffre immense, dont la pensée seule fait frémir.

La jeune fille sentit les vagues la rouler et la rouler. Elle plongea jusqu’au fond du lac, une fois, deux fois, et elle se dit qu’elle était perdue…

Pourtant, malgré l’extrême frayeur dont elle était envahie, elle ne perdit pas connaissance ; même, lorsqu’elle sentit qu’elle allait plonger pour la troisième fois, elle fit son acte de contrition… C’était fini !…

Une main, alors, saisit sa longue chevelure, qu’elle portait, plus souvent qu’autrement, flottant sur ses épaules, puis elle sentit qu’on la saisissait par la taille et qu’on la déposait ensuite dans une embarcation quelconque…

Elle ouvrit les yeux… Elle était couchée dans le fond d’une pirogue et un jeune Sauvage maniait les avirons, essayant de lutter contre les vagues envahissantes. Ce Sauvage portait un complet brun ; il était vêtu comme le sont les blancs, et, hors les signes distinctifs de sa race, il était joli garçon. Il sourit à Nilka et lui dit :

— Ne crains rien, Lys Blanc ; je vais te ramener chez toi… Tu es la « Demoiselle de L’Épave » n’est-ce pas ?

— Oui, je suis la « Demoiselle de L’Épave », répondit Nilka en s’asseyant dans le fond de la pirogue. Tu m’as sauvé la vie, continua t-elle. Comment te nommes-tu ?

— Je me nomme Towaki-dit-Fort-à-Bras… pour te servir, Lys Blanc.

— Ma chaloupe… « L’Oiseau Bleu »… murmura-t-elle.

— Elle est remorquée à ma pirogue, répondit Towaki. Regarde !

S’étant retournée, elle vit, en effet, sa chère chaloupe, que remorquait la pirogue.

— Merci, Towaki-dit-Fort-à-Bras ! fit-elle.

— Je me dirige vers L’Épave. Ne crains rien, dit le Sauvage.

Towaki se dirigeait-il véritablement vers L’Épave, ainsi qu’il venait de l’affirmer ?… Nilka fut saisie d’une grande crainte soudain ; si, au lieu de la conduire chez elle, Towaki la conduisait à quelque réserve de Sauvages, à la Pointe Bleue, ou à la Pointe des Sauvages par exemple !… Une sueur froide inonda son visage, à cette pensée.

— Ô mon Dieu, protégez-moi ! pria-t-elle tout bas.

— Pourquoi as-tu peur, Lys Blanc ? demanda, tout à coup le Sauvage, comme s’il eût deviné les pensées de la jeune fille. Que crains-tu ?… Ne t’ai-je pas dit que je te ramenais à L’Épave ?… Eh ! bien, L’Épave est là ! Si tu veux seulement tourner la tête, tu vas l’apercevoir.

Les craintes de Nilka avaient été, en effet, mal fondées, car elle aperçut, quoique confusément encore, les contours de L’Épave, à laquelle la pirogue finit par accoster, quoiqu’à grand peine.

Mlle Nilka ! cria Joël, en apercevant sa jeune maîtresse. Oh ! Que Dieu soit béni ! Vous voilà enfin ! J’allais me lancer à votre recherche.

En effet, Nilka vit qu’une des chaloupes de L’Épave avaient été munie de ses avirons et qu’elle était prête à prendre la mer… ou plutôt le lac.

— C’est ce jeune homme qui m’a sauvé la vie, Joël, répondit Nilka, en désignant Towaki de la main.

— Tu es un brave ! fit Joël, en tendant la main au Sauvage.

— Nilka ! s’exclama, à ce moment, Alexandre Lhorians, accourant sur l’arrière-pont. Comment as-tu pu me causer tant d’inquiétude !

— Je le regrette, répondit la jeune fille, en donnant un baiser à son père, et je promets que je ne recommencerai plus, petit père, ajouta-t-elle, avec un sourire un peu fatigué.

— Vous êtes trempée jusqu’aux os, Mlle Nilka ! s’écria Joël tout à coup. Seriez-vous tombée à l’eau, par hasard ?

— « L’Oiseau Bleu » a chaviré, Joël, répondit Nilka, d’un ton très las. Je crois que je vais me retirer dans ma chambre et me reposer, jusqu’à l’heure du souper, dont tu voudras bien t’occuper, n’est-ce pas ?

— Assurément oui ! répondit Joël, et je vous apporterai un bol de bouillon bien chaud, tout à l’heure, Mlle Nilka… Si, au moins, vous ne pouvez pas avoir pris froid !

— Prendre froid, par cette chaleur ! s’écria Nilka, avec un sourire. Tu n’y songes pas, mon bon Joël ! D’ailleurs, tu le sais bien, je ne prends jamais froid.

— Tout de même, vous feriez bien d’enlever vos habits tout trempés, Mlle Nilka, fit le domestique.

— Oui, j’y vais, Joël. Père, ajouta-t-elle, en indiquant le Sauvage, je vous confie Towaki-dit-Fort-à-Bras ; c’est lui qui m’a sauvé la vie, ne l’oubliez pas !

— Viens, mon jeune ami, répondit Alexandre Lhorians, en s’adressant au Sauvage. Nous te devons plus que nous ne pourrons jamais te payer. Je t’offre l’hospitalité de grand cœur. Tu es le bienvenu, sur L’Épave ! Viens !

L’horloger était au comble de ses joies : pouvoir expliquer son horloge de cathédrale à quelqu’un, quand ce n’était qu’un Sauvage, rien ne pouvait lui être plus agréable.

Mais Joël avait froncé les sourcils… Vraiment, ce cuivré… Cependant, ainsi que l’avait dit Nilka, sans lui, sa chère petite maîtresse se serait noyée ; il ne fallait pas l’oublier, ni se montrer ingrat, n’est-ce pas ?

Et Joël ne l’était pas ingrat… Il savait apprécier, à sa valeur, ce que le Sauvage avait fait. Pourtant, le fidèle domestique n’avait