pondit Roxane.
— Aux Barrières-de-Péage ! Mais, la barrière est à quinze milles d’ici et il fait un temps épouvantable, me dit Adrien !
— Que m’importe, Monsieur ! Pouvais-je voir votre fils dans une situation aussi pénible et ne pas m’offrir pour lui venir en aide ?
— Mlle Monthy, balbutia le malade, vous êtes une héroïne !
Roxane sourit. Ces mêmes paroles lui avaient été dites, il y avait trois heures à peine, par Hugues de Vilnoble.
— J’ai sur moi, dit-elle, les preuves que je viens bien de la part de votre fils M. de Vilnoble. Cette lettre, puis cette bague…
— Cette bague !… Ah ! elle appartenait à ma femme, la mère de Hugues. Cette pierre dont elle est surmontée est une escarboucle d’une grande valeur, dit M. de Vilnoble. Mais, ciel ! s’écria-t-il tout à coup, il faut que je… répare… une injustice, une grave injustice. Un notaire ! Vite, un notaire !… J’ai déshérité mon fils, mon unique enfant ! Le mois dernier, j’ai fait mon testament et… Un notaire ! Un notaire !
— Monsieur, dit Roxane, qui avait pâli légèrement, dites-moi où demeure le notaire, et j’irai le chercher, sans retard.
— Oui ! Oui ! Vite ! Vite ! Adrien…
— Adrien ! appela Roxane.
Quand le domestique fut arrivé, M. de Vilnoble lui dit :
— Adrien, un notaire !… Mon testament… il faut que je le fasse… cette nuit même, immédiatement… Mlle Monthy…
— J’irai chercher le notaire, dit Roxane à Adrien. Si vous voulez bien me donner les renseignements voulus et vite me seller un cheval… Pas Bianco, car il est bien fatigué.
— Bien, Mademoiselle ! répondit Adrien. Je vais seller Jupiter, une excellente bête, qui enlèvera les six milles d’ici chez le notaire Champvert en peu de temps.
— Allons, alors ! fit Roxane. M. de Vilnoble, ajouta-t-elle, je ramènerai le notaire, soyez-en assuré, et le plus tôt possible.
— Merci ! Merci ! soupira le malade. Et que Dieu vous bénisse pour votre sublime dévouement, votre exquise bonté !
CHAPITRE VI
LE TESTAMENT
Quand Roxane revint aux Peupliers, accompagnée du notaire Champvert, Adrien l’attendait dans l’avenue.
— Mademoiselle, dit-il, M. de Vilnoble désire que vous accompagniez le notaire, dans sa chambre.
Aussitôt que la jeune fille et le notaire furent arrivés dans la chambre de M. de Vilnoble, celui-ci s’écria, s’adressant à Champvert :
— Vite ! Vite ! Je veux faire mon testament… Le temps presse ! Vite ! Dépêchez-vous, Notaire Champvert !
— Mais, M. de Vilnoble, dit le notaire, vous ne vous souvenez donc pas de l’avoir fait votre testament, le mois dernier ?
— Celui que je ferai cette nuit sera le seul valable, M. Champvert, répondit M. de Vilnoble. Hâtez-vous !
— C’est bien dit le notaire. Mais Roxane crut voir une expression de colère et de haine sur son visage.
— Vite ! vite ! redit le malade. Je laisse tous mes biens : les Peupliers, mes propriétés sur les bords du lac à l’Ours, et ma fortune entière, évaluée à plus d’un demi-million, à mon fils unique Hugues de Vilnoble…
— Votre fils Hugues de Vilnoble, pourquoi n’est-il pas près de vous, en ce moment ? osa demander le notaire. Vous déshéritez votre nièce Yseult, qui vous a soigné avec tant de dévouement, pour votre fils ingrat, qui vous abandonne !
— Oh ! s’exclama Roxane, extrêmement surprise de tant d’impudence !
— Mêlez-vous de ce qui vous regarde ! cria presque le moribond. Écrivez ! Mais écrivez donc !
Le notaire se mit à écrire, sous la dictée de M. de Vilnoble.
— Est-ce tout ? ! demanda-t-il ensuite.
— Non, ce n’est pas tout… Mon fils Hugues devra payer à sa cousine Yseult la somme annuelle de $1.000, jusqu’au mariage de celle-ci. Le jour de son mariage, il devra lui donner en dot, $10,000… (Écrivez ! Écrivez et dépêchez-vous !) À Mme Blanche Dussol, ma sœur et la mère d’Yseult, mon fils devra donner l’hospitalité aux Peupliers sa vie durant, de plus une rente viagère de $500. Les legs à mes domestiques demeurent les mêmes que dans le testament que j’ai fait, le mois dernier.
Quand le notaire eut cessé d’écrire. M. de Vilnoble dit à Adrien :
— Soulève-moi, pour que je puisse signer mon testament. Mlle Monthy, reprit-il, vous voudrez bien signer, comme témoin, et toi aussi. Adrien ? Mais d’abord, Mlle Monthy, veuillez me lire tout haut ce testament : je veux m’assurer qu’il est tel que je l’ai dicté.
— Monsieur ! — s’exclama le notaire. Est-ce que vous vous défiez de moi ?
— Sans doute ! répondit M. de Vilnoble. Mlle Monthy, reprit-il lisez ce document, je vous prie.
Roxane lut le testament tout haut, il était tel que le testateur l’avait dicté. Ensuite, le malade signa le document, d’une main tremblante, puis Roxane et Adrien signèrent, à leur tour, comme témoins.
— Mlle Monthy, dit M. de Vilnoble à la jeune fille, vous lui direz à mon fils… que j’ai réparé… l’injustice que j’avais commise à son égard… Vous lui direz aussi que je lui laisse ma bénédiction.
— Je n’y manquerai pas, M. de Vilnoble ! répondit Roxane, d’une voix émue. Je rapporterai fidèlement vos paroles à M. Hugues.
Le notaire se disposait à replier le testament et le mettre dans la poche de son pardessus, mais le malade l’arrêta, du geste.
— Donnez-moi ce testament, M. Champvert ! dit-il.
Quand le papier lui eut été remis, il dit à Adrien :
— Mets ce papier sous mon oreiller… Tu le retrouveras là… quand le temps sera venu de le produire.
— C’est fait, mon maître ! — répondit Adrien,