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sur une jument noire comme la nuit, un jeune Sauvage de la tribu des Sioux. Il semblait questionner Belzimir, qui lui répondait par signes négatifs.

À l’arrivée des jeunes filles, le Sauvage (un enfant d’une douzaine d’années) salua et demanda :

— Belles dames, aux Arbres je veux aller.

— Aux Arbres ! s’exclamèrent Roxane et Lucie. Que veut-il dire, Belzimir ?

— Je ne sais pas, Mlle Roxane, répondit le domestique. Il dit…

— T’it maître il est aux Arbres, dit le jeune Sauvage, et…

Mais, à ce moment, on entendit le trot cadencé d’un cheval et aussitôt Roxane aperçut Bianco, arrivant sur le pont, et Hugues qui le montait enleva son chapeau en saluant les jeunes filles.

Le Sauvage, lui aussi, avait aperçu Hugues. Il conduisit son cheval à la rencontre de Bianco, et aussitôt que les deux chevaux furent de front, le petit Sioux fit un saut prodigieux, arrivant sur Bianco et entourant Hugues de ses bras.

— Ah ! dit Roxane à Lucie, je sais qui est ce jeune Sauvage maintenant ; c’est Souple-Échine, le domestique de Hugues. Tu sais, Lucie, l’enfant était malade et Hugues l’avait placé dans un ranch, afin qu’il y reçut des soins.

— Oui, répondit Lucie, et tu lui faisais parvenir des petites douceurs, par l’entremise du père Noé.

Hugues arrivait. Il eut vite sauté par terre, pressé la main de sa fiancée et salué Lucie. Le petit Sauvage, lui aussi, sauta sur le sol, il prit Bianco par la bride afin de le conduire à l’écurie, puis il appela :

— Netta !

Aussitôt, la jument noire accourut en gambadant et vint se ranger côte à côte avec Bianco.

— Souple-Échine, dit Hugues au Sauvage et désignant Roxane, c’est cette demoiselle qui t’a envoyé si souvent de bonnes choses pendant que tu étais malade.

— Merci, belle dame ! dit le Jeune Sauvage. Souple-Échine n’oubliera jamais ce que vous avez fait pour lui ! Quand le père Abraham…

— Le père Noé, Souple-Échine, corrigea Hugues, en riant.

— Ah ! oui, le père Noé, répéta l’enfant.

— Il voulait aller aux Arbres, dit Roxane à Hugues, en désignant le petit Sauvage. Je comprends maintenant ; il voulait dire : aux Peupliers ! et tous rirent d’un bon cœur.

— Oh ! Souple-Échine ne s’embarrasse pas des noms, dit Hugues, en riant. Quand il ne trouve pas le mot juste, il a vite fait d’y suppléer par un autre.

Ce soir-là, Hugues fit connaître à Roxane, à Lucie et à Rita un plan que lui avait suggéré le Docteur Philibert. Ce bon médecin possédait un yacht à vapeur fort confortable, et il avait proposé d’aller tous ensemble conduire Hugues à l’Île Rita. Tous ensemble, c’est-à-dire Roxane, Lucie, Rita et le Docteur Philibert (qui allait prendre trois jours de vacances). Un bac était en construction, pour y transporter Bianco et Netta, car Souple-Échine accompagnerait son maître et demeurerait avec lui sur l’île.

Ce plan parut tout simplement admirable aux deux jeunes filles et à Rita ; ce projet adoucissait, en quelque sorte, les angoisses du départ de Hugues, car on passerait deux jours sur l’Île Rita.

Enfin sonna l’heure de partir. Le Docteur Philibert vint, en voiture, chercher Roxane, Lucie et Rita ; Hugues et son domestique les précéderaient ou les suivraient, montés respectivement sur Bianco et sur Netta. Belzimir resterait donc seul aux Barrières-de-Péage ; mais il garderait avec lui le père Noé, quand celui-ci viendrait, comme c’était son habitude, ce soir-là.

Le trajet se fit gaiement jusqu’au Valgai. Immédiatement après le souper Hugues alla aux Peupliers faire à sa tante Dussol la visite promise, car, le lendemain, dès l’aube, on partirait pour l’Île Rita.


CHAPITRE XIX

L’HISTOIRE D’UN CRIME.


Célestin étant très-occupé, le Docteur Philibert accompagna Hugues aux Peupliers.

En pénétrant dans l’avenue des peupliers, le médecin et Hugues aperçurent Mme Dussol, qui se promenait de long en large en les attendant. Le Docteur Philibert lui avait dit que son neveu irait lui rendre visite ce soir-là et elle l’attendait avec impatience.

— Je vais vous conduire tous deux à mon boudoir, par un escalier dérobé, dont je suis seule à connaître l’existence, je crois. Venez ! leur dit-elle.

Ils se dirigèrent vers l’aile gauche et Mme Dussol ouvrit une petite porte que cachaient presque entièrement des lierres, puis elle fit signe à ses compagnons de la suivre. Un escalier en spirale conduisait presque directement à son boudoir, et bientôt, tous étaient installés confortablement et commençaient, dans l’intimité, une conversation qui devait se prolonger assez tard.

— Je sais que tu t’en vas demeurer sur ton île, Hugues ; le Docteur Philibert me l’a appris, fit Mme Dussol. Ô Hugues ! Pauvre enfant !

— Ne me plaignez pas, tante Blanche, répondit Hugues. Mon île est fertile et j’en ferai, un de ces jours, un vrai lieu de délices.

— Mais, l’hiver ?

— L’hiver ?… Mais, l’hiver, quand le lac des Cris est entièrement pris ce n’est qu’une agréable promenade de venir sur la terre ferme, de mon île… qui se nomme l’Île Rita, vous savez.

— Oui, je sais. Tu as donné à ton île le nom de cette petite infirme, la sœur de ta Roxane, n’est-ce pas ?… Je ne veux pas mépriser ton île, mon neveu, dit Mme Dussol ; ce serait un endroit idéal pour celui qui voudrait se mettre à l’abri de… toute découverte, de toute poursuite…

— Sans doute ! dit Hugues, en riant. Seulement, je n’ai rien fait qui m’oblige à me cacher, vous savez, tante Blanche !

— J’en suis convaincu, cher Hugues… Mais… pour rendre service à quelqu’un…