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sé, était obligé de se dérober à la justice…

Ce papier bleu, sur lequel était la confession du véritable meutrier, Roxane se dit qu’elle allait faire l’impossible pour s’en emparer… Le testament, puis le papier bleu…. Eh ! bien, elle trouverait un moyen…

Demain, elle irait chez le Docteur Philibert ; elle lui raconterait tout.

Rien au monde ne l’empêcherait d’aller chez le médecin, le lendemain soir, quand elle devrait parcourir à pied les quatre milles séparant les Peupliers du Valgai !


CHAPITRE VI

DOUBLE MISSION


Ce n’est pas à pied, mais à cheval que Roxane se rendit chez le Docteur Philibert, le lendemain soir, vers les huit heures.

À l’heure du dîner aux Peupliers, une servante était allée frapper à la porte de sa chambre et lui avait dit :

Mme  Louvier, Mme Champvert demande si vous voulez descendre à la salle à manger immédiatement.

— Qu’y a-t-il ? demanda Roxane.

— Je ne sais pas, répondit la servante ; mais je crois que Madame a un service à vous demander, car je l’ai entendue qui disait à M. Champvert : « peut-être Mme Louvier nous rendrait-elle ce service ».

En entrant dans la salle à manger, Roxane vit Yseult à l’une des extrémités de la table, le notaire Champvert à l’autre, et, entre eux, le juif Silverstien. Tous avaient un air assez maussade et très ennuyé.

Mme  Louvier, dit Yseult, j’aurais un service à vous demander…

— Si je puis vous le rendre, ce sera avec plaisir.

— Vous avez appris, sans doute, que Justin, le portier, est malade, depuis ce matin ?

— Oui, madame, je l’ai appris.

— Or, reprit Yseult, il fait beaucoup de température, et je crains qu’il soit atteint de quelque maladie contagieuse. Je voudrais donc vous demander si vous iriez chez le Docteur Philibert, et le prier de venir ici, ce soir, si possible ?

— C’est bien, Madame, j’irai, répondit la jeune fille.

Savez-vous monter à cheval ? demanda Mme Champvert.

Roxane ne put s’empêcher de sourire. Savait-elle monter à cheval ?… Devant ses yeux passa la vision de sa course sur Bianco, certaine nuit… Elle pensa aussi à la Forêt des Abîmes et au Sentier de la Mort… Mais, c’est d’une voix tranquille qu’elle répondit :

— Oui, je sais monter à cheval.

— Alors, je vais donner l’ordre de seller Jupiter, dit Yseult, en posant son doigt sur un timbre.

— Faire seller Jupiter à cette heure ! s’écria Champvert. Ma foi, Yseult.

— Sois assez bon de te mêler de ce qui te regarde, mon cher, riposta la jeune femme. Puis s’adressant au domestique qui venait d’entrer dans la salle à manger, elle ajouta : Dites au cocher de seller Jupiter à l’instant.

— Je serai prête à partir dans cinq minutes, dit Roxane, en se dirigeant vers la porte de la salle à manger.

— Attendez ! s’écria Yseult. Vous ne connaîtriez pas quelqu’un (quand ce serait qu’un enfant) qui pourrait remplacer Justin pour quelques jours ? Vous savez que je donne un grand dîner demain soir, et je ne puis me passer d’un portier.

— Je ne connais personne, répondit Roxane. Mais peut-être le Docteur Philibert pourrait-il vous recommander quelqu’un.

Vite, la jeune fille quitta la salle à manger. Elle avait tant hâte de voir le Docteur Philibert ! Elle avait tant de choses à lui dire, tant de conseils à lui demander au « bon Docteur », comme disait Rita !

Inutile de dire qu’elle fut la très-bienvenue. C’est le médecin lui-même qui vint lui ouvrir.

Mlle  Monthy… ou plutôt, Mme Louvier ! s’écria-t-il, en apercevant Roxane. Entrez ! Vous êtes des milliers de fois la bienvenue !

— Savez-vous, Docteur, dit la jeune fille, quand elle eut été installée dans un confortable fauteuil, en face du médecin, savez-vous que j’ai failli passer tout droit ?… Je n’étais pas bien sûre d’être au Valgai, à cause de cette nouvelle construction, tout à côté de votre maison.

— Ah ! oui, fit le docteur, dont la joviale figure se rembrunit un instant.

— Mais, qu’est-ce que cette bâtisse ? demanda Roxane. J’ai vu qu’elle était éclairée à l’intérieur.

— Je vous expliquerai cela tout à l’heure, ma chère enfant. D’abord, que je vous donne des nouvelles de chez-vous… Je suis arrêté aux Barrières-de-Péage cet après-midi. Je les ai trouvés tous en excellente santé et d’agréable humeur ; votre dernière lettre à Mlle de St-Éloi, dans laquelle vous annoncez votre retour, avant un mois, les a réjouis tous.

— Oui, j’espère bien être de retour chez-nous avant un mois. Le testament… Lucie vous a-t-elle dit que je l’avais vu, et que je n’attendais qu’une occasion de m’en emparer ?

— Elle me l’a dit, répondit le médecin.

— Malheureusement, quoique je sache que le testament existe et qu’il est encore entre les mains du voleur, (je veux dire le notaire Champvert) je ne parviens pas à trouver la combinaison du coffre-fort, dans lequel le testament est enfermé. Mais, que je vous raconte d’abord comment j’ai appris la chose. Voici :

Roxane décrivit la scène conjugale dont elle avait été témoin, et elle ajouta ;

— Il me tarde de m’en aller des Peupliers, je vous l’assure, Docteur ! Il me semble que, dans l’atmosphère de cette maison, on ne respire que drame ou tragédie. Si vous voyiez le visage de Mme Champvert ! Depuis la scène dont je viens de vous parler, on peut lire dans les yeux de cette femme comme une résolution désespérée. Ils se détestent ces deux époux, et ils s’adressent l’un l’autre comme je ne parlerais pas, moi, à… Bruno, notre chien… Mais, laissons cela… Voici le dessin dont je vous ai parlé ; c’est la