Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/51

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c’était le huitième jour, la limite qu’elle s’était fixée, pour enlever au juif Silverstien le petit papier bleu.

Il était quatre heures de l’après-midi. Roxane, entrant dans le corridor principal des Peupliers, s’approcha de Souple-Échine et lui dit tout bas ;

— Souple-Échine, j’aurai besoin de toi, ce soir.

— Oui, belle dame ? Qu’aurai-je à faire ?

Roxane allait lui donner quelques explications, quand, levant les yeux, elle vit Yseult, qui se dirigeait de son côté. Un certain étonnement se lisait dans ses yeux ; il était assez singulier aussi de voir Mme Louvier dans ce corridor, alors qu’elle était censée être dans sa chambre, à marquer des draps. Mais la jeune fille eut vite fait de sortir de là.

— Madame, dit-elle à Yseult, en désignant Souple-Échine, cet enfant est malade.

— Malade ! cria Yseult. Les fièvres…

— Pas du tout, répondit Roxane. Il n’a pas de fièvre ; je crois que c’est plutôt une indigestion. Il a failli s’évanouir, tout à l’heure. Si vous voulez me le permettre, je vais l’amener dans ma chambre et prendre soin de lui. J’aime les enfants, voyez-vous, et ne puis souffrir de les voir pâtir.

— Comme vous voudrez, répondit Yseult. Mais, qui s’occupera de la porte ?

— Je m’en occuperai, s’il y a lieu, dit Roxane. Viens, pauvre petit, ajouta-t-elle, en tendant la main à Souple-Échine, qui était entré admirablement dans son rôle.

Quand le jeune Sauvage fut rendu dans sa chambre, elle lui dit :

— Voici ce que tu auras à faire, Souple-Échine. À huit heures et quart ce soir, (il fera déjà noir) tu iras aux écuries et selleras Jupiter, puis tu le conduiras dans l’allée des pins. Tu m’attendras là. Vers les neuf heures probablement, j’irai te rejoindre. Je te remettrai une enveloppe, qui contiendra un papier précieux… si précieux, Souple-Échine, que si tu avais le malheur de le perdre, tu serais cause d’un grand malheur pour quelqu’un que ce papier concerne.

— Et qu’est-ce que Souple-Échine fera du papier, belle dame ?

— C’est juste ; il est bon que tu le saches, répondit, en riant la jeune fille. Ce papier que je te confierai, tu iras le porter au Valgai et le remettras au Docteur Philibert… à lui-même, tu comprends, Souple-Échine.

— Souple-Échine comprend bien, dit le petit Sauvage, et il demandera au Docteur Philibert d’écrire quelque chose sur un papier, pour que je le donne à la belle dame, comme preuve qu’il aura reçu son envoi.

— Bien ! Tu es vraiment intelligent, Souple-Échine, et j’ai toute confiance en toi… Tu devrais pouvoir aller au Valgai et en revenir dans une heure, tout au plus. Voilà trois jours que Jupiter est à l’écurie ; il sera donc frais et dispos et il ira comme le vent. Aussitôt que tu auras remisé le cheval, à ton retour, tu reviendras ici, dans cette chambre, je veux dire. Tu entreras par la petite porte dérobée : celle que je t’ai montrée, l’autre jour, et qui est cachée sous les lierres. Je t’attendrai, et tu passeras le reste de la nuit ici, sur ce canapé. Est-ce compris ?

— Oui, c’est compris, belle dame.

— Maintenant, tu ferais bien de te coucher sur ce canapé et…

— Mais, Souple-Échine n’est pas malade, pas malade du tout, belle dame ! s’écria le petit Sauvage. C’était pour faire croire à Mme Prévert…

Mme … Prévert ?… Champvert, tu veux dire, petit, dit Roxane, en riant. Mais Mme Prévert pourrait bien se mettre dans la tête de venir s’assurer que tu es réellement malade, tu sais, et si elle venait, tu devras faire semblant de dormir.

— Souple-Échine connaît son devoir qui est de vous obéir en toute lettre, belle dame, dit l’enfant, en s’étendant sur le canapé.

Roxane jeta une couverture légère sur le petit Sauvage, puis elle alla s’asseoir sur une chaîne berceuse et se mit à coudre ; mais à peine eut-elle piqué son aiguille dans la toile, qu’on frappa à la porte, et Yseult entra.

— Et ! bien, Mme Louvier, demanda-t-elle, avez-vous découvert ce qu’a Souple-Échine ?

— Oui, Madame. J’ai découvert qu’il avait mangé un morceau de tarte à la rhubarbe pour le dessert, à midi, et qu’il avait bu, par-dessus cela, deux verres de lait.

— Alors, c’est bien une indigestion ? Il n’a pas de fièvre ?

— Pas l’ombre.

— Tant mieux ! s’écria Yseult. Mon Dieu, Mme Louvier, ajouta-t-elle, je vous envie, vraiment !

— Vous m’enviez, Mme Champvert ? Je ne puis comprendre pourquoi.

— Oui, je vous envie… de n’avoir pas peur de cette épidémie de fièvres typhoïdes. C’est épouvantable de penser que… ce sera peut-être notre tour demain ! Elle se mit à frisonner, tandis que ses lèvres devenaient presque aussi blanches que la peau de son visage.

— Nous sommes entre les mains de Dieu, répondit simplement Roxane.

— Sans doute, mais… J’ai tellement peur de cette maladie, Mme Louvier !

— Alors, permettez-moi de vous dire que vous avez tort de ne pas contrôler cette peur. D’ailleurs, il faut se dire que nous ne serons frappés que si le bon Dieu le veut et… il faut se tenir prêt à répondre à son appel quel qu’il soit.

— Voulez-vous dire que, s’il plaît à Dieu de nous rappeler à lui… Oh ! taisez-vous ! Taisez-vous ! Comment pouvez-vous parler si froidement de la mort ! s’écria Yseult, les yeux remplis de frayeur.

— N’en parlons pas, alors, dit Roxane, en souriant. Je voulais vous demander, Madame, si je puis garder Souple-Échine avec moi, cette nuit ?… S’il allait être plus mal…

— Gardez-le si vous le désirez, consentit Yseult. Moi, je ne comprends pas ce culte que certaines femmes ont, ou semblent avoir pour l’enfant… Ainsi, ma mère, Mme Dussol, m’écrit… je ne sais trop d’où… en ces termes :  ; écoutez :

« J’espère, chère Yseult, que tu ne t’effraies pas inutilement, à cause de cette épidémie ? Il y a des précautions à prendre contre les