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fièvres typhoïdes, bien sûr ; mais il ne faut pas en avoir peur. Pour ma part, je ne tremble que pour toi ; pour moi-même, je ne crains rien. C’est que, nous sommes protégés dans cette maison où je suis (je le crois fermement) par la présence d’une mignonne fillette de huit ans, un ange aux yeux bleus, qui a nom Rita ».

Roxane sentit les larmes venir à ses yeux en entendant lire ces paroles de Mme Dussol. Chère, chère Rita ! Doux ange aux yeux bleus !

Yseult, après avoir lu le passage de la lettre de sa mère, ajouta :

— Au revoir, Mme Louvier. Et puisque vous êtes si pieuse et que votre confiance en Dieu est si grande, priez pour que la peur que j’éprouve de ces fièvres se passe au plus vite.

— Je n’y manquerai pas, Madame, promit gravement Roxane.

À huit heures et quart, ce soir-là, Souple-Échine se rendait aux écuries y remplir les ordres de « la belle dame », tandis que celle-ci se préparait à son rendez-vous avec Silverstien.

À neuf heures moins le quart, elle quittait furtivement les Peupliers. Quand elle y reviendrait, elle l’espérait fermement, la preuve de l’innocence d’Armand Lagrève serait entre les mains de Souple-Échine qui, lui, la remettrait fidèlement au Docteur Philibert.


CHAPITRE X

LE PETIT PAPIER BLEU


Un pli soucieux se creusait au front du juif Allemand Henric Silverstien. Depuis huit heures qu’il était au rendez-vous convenu entre lui et Gretchen ; elle n’était pas encore arrivée, et il serait bientôt neuf heures. Pour la vingtième fois peut-être, il venait de regarder l’heure à sa montre ; neuf heures moins cinq minutes !… Décidément, elle ne viendrait pas ! Jamais elle n’avait tant tardé la douce Gretchen… Il était sûrement arrivé quelque chose, pour l’empêcher de sortir… Mais, encore quelques pas dans la direction de l’est ; ensuite, il retournerait aux Peupliers. Silverstien soupira ; c’est que sa déception était grande !

Soudain, des pas légers… C’était elle ! Gretchen ! Mais, comme elle venait vite, et comme elle était en retard !

— Gretchen ! Oh ! vous voilà enfin ! Je commençais à désespérer de vous voir ! s’écria le juif, en accourant au-devant de Roxane.

— J’ai failli ne pas venir, M. Silverstien, répondit Gretchen, (?) feignant d’être très-essoufflée. Le fait est que je me suis sauvée de chez-nous… Je crains bien ne pouvoir plus vous rencontrer ainsi, dorénavant ; voyez-vous, ma mère a appris ce qui se passe et…

— Ne plus nous voir, Gretchen ! cria le juif. Impossible ! Ô Gretchen !

— Que voulez-vous, M. Silverstien ; je ne puis désobéir à ma mère.

— Gretchen, voulez-vous m’épouser ? Tout de suite ? Demain ? Je vous promets que vous serez heureuse.

— Je serai franche avec vous, M. Silverstien, répondit la douce Gretchen. J’ai pour vous beaucoup d’estime, beaucoup de sympathie, et à la pensée de ne plus vous revoir, mon cœur se serre. Mais j’ai eu trop de misère, j’ai trop connu les horreurs de la pauvreté pour épouser un homme pauvre… Or, je suis courtisée par un jeune homme riche, un M. Gottburg…

— Gretchen, vous ai-je dit que j’étais pauvre… ? Peut-être que…

— M. Gottburg a, m’a-t-il assuré, une forte somme d’argent à la banque, M. Silverstien. Près de cinq mille dollars. Pensez-y : cinq mille dollars !

— Et vous trouvez que cinq mille dollars c’est une fortune ?… Que diriez-vous de vingt-mille alors ?

— Vingt-mille ! Vingt-mille dollars ! s’écria la jeune Allemande. Je me demande s’il y a autant d’argent que cela dans le monde, ajouta-t-elle, en souriant. Puis, feignant une grande frayeur : Qu’est-ce que cela ? fit-elle en jetant les yeux par-dessus son épaule. J’ai cru entendre du bruit, de ce côté.

— Vous vous êtes trompée, ma Gretchen, répondit Silverstien.

— Que feriez-vous, si nous étions attaqués, mon ami ? demanda Gretchen, toujours feignant une grande frayeur.

— Mais…J e vous défendrais !

— Ah ! je comprends, je crois… Comme tant d’autres messieurs que je connais, vous ne sortez jamais sans être armé, sans doute ? Vous faites bien, M. Silverstien. On ne sait jamais…

— Armé ! s’écria le juif. Pensez-vous que je prends la précaution de porter des armes, chaque fois que je fais une petite promenade ? ajouta-t-il en riant d’un bon cœur.

— Oh ! vous avez bien une petite arme à feu cachée sur votre personne ! fit la jeune fille, en souriant d’un air incrédule.

— Parole d’honneur, Gretchen, je n’en ai pas ! Cependant, ne craignez rien ; je saurais bien vous défendre, si nous étions attaqués !

— Je n’ai plus peur, assura Roxane. J’ai imaginé entendre du bruit tout à l’heure, voilà tout… Eh ! bien… de quoi parlions-nous donc ?

— Nous parlions d’un homme qui aurait pour fortune la somme de vingt-mille dollars, Gretchen. Si vous voulez m’épouser, ma toute chérie, je vous promets que je mettrai cette somme dans vos mains, d’ici une semaine ou deux.

— Vous vous moquez de moi, M. Silverstien ! dit la jeune Allemande, qui parut être très froissée.

— Pas du tout ! Pas du tout ! Je vous jure que j’aurai bientôt en ma possession vingt-mille dollars !

— Vous vous attendez donc d’hériter ? demanda Gretchen, assurément fort intéressée ?

— Hériter ?… Eh ! bien, non… Tout de même, ces vingt-mille dollars seront entre mes mains d’ici quinze jours, je le jure.

— Bonsoir, et adieu, M. Silverstien ! dit l’Allemande, en se dirigeant vers le chemin, car cette entrevue avait lieu dans un petit bois, du côté ouest des Peupliers.