Page:Lachatre-Histoire des Papes. Vol 2.djvu/21

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les comtés, les juridictions, les monnayeries, les marchés, les terres et les châteaux qui ressortaient des priviléges du trône.

Ce traité accordait à Henri une des deux choses qu’il avait demandées, l’abandon des grands biens que les prêtres possédaient dans ses États, en échange du droit d’investiture ; mais, prévoyant que les prélats refuseraient d’obéir au pontife lorsqu’il leur ordonnerait de se dessaisir de leurs richesses, et qu’ils soutiendraient hautement que nulle puissance ne pouvait leur ôter les domaines qu’ils possédaient, le prince prit une détermination extrêmement adroite afin de ne pas se trouver dépouillé lui-même, et pour se mettre à couvert des reproches qu’on pourrait lui faire s’il était forcé de retenir les investitures ; il ratifia le traité, mais en ajoutant pour clause indispensable que l’échange qu’il faisait du droit des investitures avec les régales ou les biens que les prêtres tenaient de la couronne, serait approuvé et solennellement confirmé par tous les princes des États de Germanie.

Après ces préliminaires, il vint camper auprès de Rome : dès qu’il fut près des murs de la ville, le pontife envoya à sa rencontre les principaux officiers du palais de Latran, les magistrats, les écoles, cent jeunes religieuses couvertes de leurs voiles, portant des flambeaux, et une multitude d’enfants qui jetaient des fleurs sur son passage. Lorsque Henri eut pénétré dans Rome, tous les ecclésiastiques l’entourèrent en chantant des hymnes à sa louange, et le conduisirent triomphalement à la basilique de Saint-Pierre, où il trouva le pape qui l’attendait sur le parvis. Le prince se prosterna devant le pontife et lui baisa humblement les pieds ; ensuite ils entrèrent dans le temple par la porte d’argent, aux bruyantes acclamations du peuple.

Pascal salua Henri empereur d’Occident, et l’évêque de Lavici prononça la première oraison du sacre ; lorsqu’elle fut terminée, et avant de continuer la cérémonie, le saint-père réclama du prince le serment par écrit de sa renonciation aux investitures. Henri répondit qu’il était prêt à remplir sa promesse ; mais que sa conscience lui faisait un devoir de consulter les évêques allemands, qui avaient un puissant intérêt dans cette affaire. Il entra en effet avec ses prélats dans la sacristie pour délibérer sur les exigences du pape : la discussion fut longue et orageuse. Pascal, impatient de connaître le résultat de leur délibération, envoya demander à l’empereur s’il voulait enfin exécuter la convention qu’il avait consentie. Cette démarche du pape décida la question ; les prélats se levèrent aussitôt de leurs sièges, protestant qu’ils ne souffriraient jamais qu’on les dépouillât de leurs biens, et ils se dirigèrent en tumulte vers la salle de la Roue de porphyre, où le pape siégeait en les attendant. Le pontife essaya de les calmer en leur adressant un long discours pour leur représenter,« Que l’on devait rendre à César ce qui lui appartenait ; que celui qui se dévouait à Dieu ne devait point s’engager dans les intérêts du siècle, et que, selon saint Ambroise, les prêtres mondains étaient indignes du sacerdoce. » Mais ceux-ci l’interrompirent brusquement en lui disant : « Très-saint Père, nous voulons jouir des biens de nos évêchés comme vous du patrimoine du saint-siége, et nous ne souffririons pas que l’Apôtre lui-même nous enlevât la moindre parcelle de nos revenus. »

Pendant cette discussion, le duc de Guelfe, dominant toutes les voix, cria au saint-père : « À quoi servent tous vos discours, prêtre de Satan ? Nous n’avons que faire de vos sottes conditions ! Nous voulons que vous couronniez notre empereur, ainsi que ses prédécesseurs l’ont été par les vôtres, sans que vous entrepreniez de rien innover ni d’ôter à lui ou à nos évêques ce qui leur appartient. »

Henri prit alors le ton d’un maître, et dit à son tour : « Très-saint Père, nous voulons que toutes ces divisions finissent et que vous accomplissiez à l’instant même la cérémonie de notre sacre. » Pascal, humilié dans son orgueil, répliqua : « La plus grande partie du jour est passée ; l’office sera long, et nous n’aurons pas le temps de vous couronner aujourd’hui. » L’empereur, indigné de cette obstination, fit environner le sanctuaire par des gens armés, afin de réduire le pape à l’obéissance. Celui-ci ne manifesta aucune crainte ; il monta lentement à l’hôtel de saint Pierre et acheva l’office divin ; après quoi il voulut retourner au palais de Latran. Mais les gardes de l’empereur lui présentèrent la pointe de leurs glaives et lui interdirent le passage : il revint alors sur ses pas, et s’assit silencieusement devant la Confession de l’Apôtre.

Tout à coup un bruit épouvantable éclata dans l’église ; les prêtres, qui s’étaient mêlés à la foule, crièrent : « Aux armes ! on en veut à la vie du pontife ; » et à leur voix, les fidèles s’étant rassemblés, chargèrent avec fureur les troupes allemandes. Celles-ci, obligées de se défendre, mirent l’épée à la main, frappèrent indistinctement les prêtres, les femmes, les hommes, en tuèrent bon nombre et refoulèrent tout le reste de ces fanatiques hors de l’église. L’empereur demeura maître du terrain, et pendant la nuit il fit conduire le pape dans une forteresse, dont il confia la garde à Othon, comte de Milan.

Les cardinaux de Tusculum et d’Ostie, qui s’étaient échappés de Saint-Pierre pendant le tumulte, parcoururent les rues en excitant les citoyens à punir l’infâme trahison de l’empereur : chacun courut aux armes, et on fit main basse sur tous les Allemands qu’on rencontra dans les rues. Le lendemain, à la pointe du jour, toutes les compagnies des Romains s’avancèrent en bon ordre sous la conduite de leurs capitaines, franchirent les ponts, et attaquèrent les impériaux avec tant d’impétuosité, qu’ils en tuèrent un grand nombre et mirent le reste en déroute. Henri lui-même fut renversé à terre, blessé au visage ; et il aurait été infailliblement massacré, si Othon ne lui eût donné son cheval et ne se fût dévoué pour le sauver. Les Romains s’emparèrent du comte, et pour le punir de son généreux sacrifice, ils le hachèrent en morceaux devant le palais de Latran, et firent dévorer par des chiens les tronçons sanglants de son cadavre.

Henri regagna son camp, où il trouva les prisonniers qu’il avait fait partir en avant sous bonne escorte ; le lendemain il se rapprocha de Rome et en commença le siége : ses troupes dévastèrent la campagne, pillèrent les couvents et les églises, violèrent

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